L’incarcération des sans-papiers est désormais illégale

Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne devra s’appliquer en France

Publié le 3 mai 2011 sur OSIBouaké.org

Le Monde, (édition du 3 Mai 2011) - II n’est plus possible, depuis jeudi 28 avril, d’emprisonner un étranger au seul motif qu’il est en situation irrégulière.

II peut toujours être placé en centre de rétention en attendant son éloignement, mais plus en prison, même s’il n’a pas obéi à un ordre de quitter le territoire.

La décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), au Luxembourg, a cueilli à froid le gouvernement français qui incarcère les sans-papiers depuis 1938. Elle est d’application immédiate et les étrangers qui purgent une peine pour séjour irrégulier sont donc aujourd’hui détenus arbitrairement.

Le coup de tonnerre est venu d’Italie. Hassen El-Dridi, un Algérien entre illégalement, avait reçu, en mai 2010, l’ordre de quitter la Péninsule. Il n’avait pas obtempéré et, interpellé le 29 septembre 2010, il avait été condamné à un an de prison. La cour d’appel de Trente s’est alors demandé si la seule violation d’un ordre de quitter le territoire pouvait justifier une peine de prison. La CJUE a clairement répondu non, et sa décision s’impose à tous ses membres, dont la France.

La Cour de justice s’appuie sur la « directive retour », entrée en vigueur le 13 janvier 2009 dans FUE. Selon ce texte, un sans-papier frappé par une mesure d’éloignement dispose de sept à trente jours pour quitter le territoire. S’il ne s’y conforme pas, les Etats peuvent utiliser « en demie ressort » des mesures coercitives « proportionnées », c’est-a-dire un placement en rétention, mais de façon aussi brève que possible ».

Ce n’est qu’en cas de refus d’embarquer que des mesures pénales peuvent être envisagées. Ainsi, conclut la Cour, la directive « s’oppose à une réglementation d’un Etat membre (...) qui prévoit dune peine d’emprisonnement un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire (...) sur ledit territoire sans motif justifié ».

Cette décision contredit le code pénal français qui dispose que tout étranger en situation irrégulière encourt un an de prison et 3750 euros d’amende. Interpellé et placé en garde a vue, il peut être renvoyé par le parquet devant un tribunal ou, le plus souvent, remis à la préfecture. Le préfet, s’il ne régularise pas l’étranger, délivre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) et le sans-papiers a sept jours pour partir. La préfecture peut également placer l’étranger en rétention.

S’il n’a pas respecté cet ordre de quitter le territoire, le sans-papiers commet un nouveau délit « une soustraction d’APRE » et encourt trois ans de prison. La jurisprudence de plusieurs tribunaux de région parisienne tourne alors autour de « trois mois, trois ans » : trois mois de prison ferme et trois ans d’interdiction du territoire français (ITF). Une « soustraction d’ITF » est à son tour punie de trois ans de prison.

La décision de la Cour de justice rend désormais impossible ces condamnations et peu importe que la France, pas plus que l’Italie, n’ait encore transposé la directive retour. La CJUE donne même le mode d’emploi : « il appartiendra à la juridiction de renvoi [la cour d’appel] de laisser inappliquée toute disposition (...) contraire au résultat de la directive. »

Les conséquences sont importantes. Les prisons risquent de se vider et les centres de rétention se remplir. Et si être sans-papiers n’est plus un délit, est-il encore possible de placer cet étranger en garde a vue ?

L’aide au séjour, le « délit de solidarité », puni de cinq ans de prison, restera-t-il une infraction ?

Même le projet de loi Besson, qui sera examiné le 5 mai par la commission mixte paritaire du parlement, devra être revu : il prévoit une peine de trois ans de prison pour qui ne respecterait pas son obligation de quitter le territoire.

Pour les ministères de l’intérieur et de la justice, la décision de la Cour impose « une analyse approfondie ». II est difficile de savoir combien d’étrangers sont condamnés pour infraction au séjour : 80000 APRF ou ordres de quitter le territoire ont été prononcés en 2009 et seuls 20% ont été exécutes.

Chaque sans-papier pouvant avoir reçu plusieurs sommations, les associations estiment autour de 40 000 le nombre de ceux qui encouraient une peine de prison, aujourd’hui illégale.

Franck Johannes et Elise Vincent

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