La guerre éclair s’enlise aux portes d’Abidjan
Publié le 4 avril 2011 sur OSIBouaké.org
Libération - 04/04/2011 - Hélène Despic-Popovic
L’armée de Gbagbo offre une résistance inatendue aux forces pro-Ouattara.
La guerre éclair des pro-Ouattara a été stoppée dans la capitale économique du pays, Abidjan, par la résistance du dernier carré de fidèles au président sortant, Laurent Gbagbo. L’assaut final contre les symboles du régime, la présidence et la résidence de Gbagbo, n’a toujours pas eu lieu. De nombreux quartiers sont livrés aux pillages et aux règlements de comptes.
Hier, les tirs ont été moins violents que ces derniers jours mais la situation est extrêmement différente d’un quartier à l’autre. Le quartier d’Abobo, en guerre ces deux derniers mois, est aujourd’hui le plus calme. Yopougon, où subsistent de larges poches pro-Gbagbo, est la proie de règlements de comptes. Les Forces républicaines d’Alassane Ouattara avaient levé le couvre-feu dans la matinée. Enfermé depuis vendredi dans son appartement, sur les hauteurs du quartier administratif du Plateau, contrôlé par les pro-Ouattara, Sylvain Semilinko, le directeur béninois de la station de radio Onuci-FM, explique qu’il en a profité pour se rendre au supermarché. « Les Forces républicaines ont sécurisé les alentours du supermarché. C’était bien organisé. J’en ai profité pour acheter du riz et des sardines. » Sa radio émet désormais en partie de Bouaké, la ville principale du nord du pays et fief des partisans de Ouattara. C’est là que l’Onuci, la mission de l’ONU en Côte-d’Ivoire, a décidé de « relocaliser » son personnel non essentiel.
Bon nombre d’étrangers font le choix de partir. Ce n’est pas le cas de Paul. « Si je pars me réfugier au campement de l’opération Licorne, ma maison sera à l’abandon, et elle sera pillée », dit ce Français qui a décidé de rester à Abidjan. Le quartier résidentiel de Cocody où il habite est pourtant un des plus touchés par les combats, car il se trouve non loin de la résidence de Gbagbo et de sa télévision, la RTI. « Tant qu’il y a des combats, il n’y a pas de pillage. Dès que ça cesse, c’est toute une population défavorisée qui s’y met », souligne-t-il, sous couvert d’anonymat.
Jeudi, l’offensive des pro-Ouattara, dirigée par Guillaume Soro, Premier ministre et ministre de la Défense du président élu, paraissait irrésistible. En trois jours, les Forces républicaines s’étaient emparées de la quasi-totalité du pays et s’installaient aux portes d’Abidjan. Malgré les très nombreuses défections dans son camp, y compris celle du chef de son armée, Laurent Gbagbo décidait de ne pas se rendre. Le lendemain, la RTI tombait aux mains des combattants. Pour une journée seulement. Un revers militaire pour Soro et un premier succès pour Gbagbo, qui ne serait plus défendu que par 2 000 hommes, non pas des unités constituées, mais des individus soudés par des loyautés idéologiques ou ethniques, selon les spécialistes. D’après un diplomate, 300 personnes assurent en continu la sécurité de la résidence de l’ex-chef de l’Etat, alors qu’il n’est même pas certain que Gbagbo y demeure encore.
Cette situation de « pat » - comme on dit aux échecs quand les deux joueurs sont paralysés - pourrait perdurer. Affaiblies par les accusations de massacres dans l’ouest du pays, les Forces républicaines peuvent-elles faire venir des renforts sans dégarnir le reste du pays et risquer de voir ressurgir des foyers de lutte pro-Gbagbo ? Il est fort à craindre que non. Alors faut-il, comme le propose l’International Crisis Group, préconiser un cessez-le-feu immédiat ? « Notre grande préoccupation, souligne un diplomate à Abidjan, c’est que même si Laurent Gbagbo quitte le pouvoir, une résistance va s’organiser. On risque de sortir d’une crise pour entrer dans une autre. Le grand gagnant au final risque de n’être ni Ouattara ni Gbagbo, mais les militaires de Soro. »