La justice recourt davantage à l’ethnopsychologie

Les magistrats amenés à juger des personnes d’origine étrangère s’appuient de plus en plus sur des expertises ethnocliniques afin de mieux comprendre la personnalité des prévenus

Publié le 31 mars 2011 sur OSIBouaké.org

La Croix du 23/03/2011 - Marie BOËTON -

Il est des affaires limpides, tant les mobiles semblent évidents. D’autres, en revanche, « résistent » à Martine de Maximy, présidente de la cour d’assises à Paris. « Dans certains dossiers impliquant des étrangers, nous ne réussissons pas à comprendre les ressorts de l’affaire sans avoir clairement à l’esprit ses représentations culturelles. » Dans ce cas, la juge réclame un supplément d’enquête, afin qu’une analyse ethnoclinique puisse compléter l’expertise psychologique.

Martine de Maximy l’a encore fait récemment pour un meurtre intrafamilial impliquant un Français d’origine cambodgienne. « Les raisons de son passage à l’acte restaient floues, ses proches se muraient dans le silence… Je pressentais que quelque chose avait échappé au magistrat instructeur », se souvient-elle.

L’analyse ethnoclinique fera apparaître que la famille du criminel avait été victime des massacres commis sous Pol Pot et n’avait jamais réussi à briser ce tabou. « Grâce au regard d’un anthropologue sur ce dossier, nous avons pu déceler une violence antérieure jamais verbalisée, ce qui nous a permis de mieux appréhender le profil de l’accusé. Le tribunal a pu mettre des mots sur ce qui s’était passé. Or, c’est souvent cela, avant tout, qu’attendent les victimes. » À l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires, on se dit plutôt favorable à ce nouveau genre d’analyse. L’un de ses membres, l’expert psychiatre Daniel Zagury, ne dit rien d’autre. « Lorsque je me trouve face à des accusés d’origine étrangère, mes examens présentent parfois de vraies limites. Par exemple, selon nos canons occidentaux, l’absence d’émotivité peut être considérée comme un signe de perversion. Or, dans certaines cultures, la placidité est, précisément, une valeur cardinale ! »

Consciente des apports de l’ethnopsychologie, l’École nationale de la magistrature (ENM) propose depuis ces dernières années une session intitulée « Impact des traditions et cultures sur le traitement judiciaire d’un dossier ». Non sans succès : 80 magistrats s’y sont inscrits en 2010, contre seulement 25 en 2008…

C’est l’occasion pour eux de mieux connaître les modes de fonctionnement de certaines sociétés traditionnelles (imbrication du sacré et du profane, structures familiales, modes de résolution des conflits, etc.).

Jusqu’à présent, l’ethnopsychologie n’avait cours que dans un seul domaine : celui de la justice des mineurs. Depuis une quinzaine d’années, en effet, les juges des enfants – dont la mission n’est pas seulement de sanctionner mais aussi de prononcer les mesures éducatives – voient d’un bon œil ce genre d’examens cliniques.

"Mieux comprendre ne veut pas dire moins punir"

Et pour cause : ils leur permettent de mieux comprendre certains dysfonctionnements familiaux. « Nous recourons à l’ethnopsychologie lorsque les services éducatifs ont de la peine à intervenir auprès d’une famille », explique Marie-Pierre Hourcade, juge des enfants. Pour venir à bout de ses réticences, il semble parfois impératif de connaître ses schémas culturels.

« J’ai eu récemment à gérer le cas d’un petit garçon d’origine malienne sur lequel ses parents refusaient d’exercer toute forme d’autorité, ce qui avait des conséquences catastrophiques sur la construction de l’enfant, explique la juge. C’est grâce à une analyse anthropologique fouillée que j’ai compris que le petit était vénéré par les siens. Sa famille estimait qu’il avait pris la place d’un ancêtre et devait donc être adoré comme tel. » Forts de cette donnée, les éducateurs ont ensuite réussi à faire évoluer la famille.

Reste à savoir si, en dehors de l’usage unanimement admis de l’ethnopsychologie auprès des mineurs, un tel recours lors des procès d’assises ferait autant consensus. En effet, apporter un éclairage culturel de l’acte d’un criminel ne revient-il pas à le dédouaner ?

Cet argument avait déjà été avancé il y a plusieurs décennies, lorsque les expertises psychologiques avaient été systématisées lors des enquêtes. « Les peines prononcées aujourd’hui ne sont pas plus indulgentes qu’hier, assure Martine de Maximy. Mieux comprendre ne veut pas dire moins punir. » À ce constat, la juge en ajoute un autre : « Mieux comprendre permet aussi au condamné de comprendre le sens de son acte et, espérons-le, de ne pas récidiver. »

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