Virée pour cause de cancer

Publié le 21 décembre 2010 sur OSIBouaké.org

Libération - 20/12/2010 - Par Angela Bolis

Corinne Heileman travaille dans un cabinet médical. Un matin de mai 2005, ses employeurs lui pronostiquent un cancer du sein. Le soir même, ils la convoquent pour la licencier. Récit.

Tout a commencé une nuit de printemps, il y a 5 ans. Corinne Heileman sent une grosseur dans son sein gauche, douloureuse. Le matin, elle rejoint le cabinet médical où elle travaille depuis six ans. Inquiète, elle demande au docteur Billion, son employeur, de l’examiner. Le pronostic est cinglant : « Corinne, tu as un cancer », lui assène-il spontanément. Avant de lui délivrer une ordonnance pour effectuer une radiographie du sein en urgence. A 11 heures, le second médecin, docteur Baudienville, arrive au cabinet. Il l’examine également et, sans s’être concerté avec son collègue, confirme l’avis du premier.

Le même jour, à 19h30 : les deux médecins reçoivent leur employée, et lui livrent une lettre manuscrite afin de la convoquer à un entretien préalable de licenciement pour « motif économique ».

Le lendemain, Corinne Heileman vient travailler. Elle demande à partir quinze minutes plus tôt pour son rendez-vous avec le radiologue. Demande refusée par les médecins.

La radiographie confirmera finalement le cancer du sein. Au bout de dix mois de chimiothérapie, un mois d’hospitalisation en raison de complications suite à l’ablation du sein, 45 séances de radiothérapie et huit mois en centre antidouleur, elle se rétablit. Et attaque ses employeurs aux Prud’hommes, assistée par la CGT. Le combat en justice

Au conseil des Prud’hommes de Poissy, les médecins employeurs de Corinne Heileman soutiennent que le licenciement était prévu de longue date et économique.

La Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), saisie du dossier, a mené son enquête. Elle arrive à d’autres conclusions. Me Annie Moreau, qui représente l’institution, précise : « D’une part, d’autres personnes, plus jeunes, auraient pu être licenciées avant elle. D’autre part, le licenciement n’a pas permis au cabinet de faire des économies. Et de toute façon, la lettre de licenciement n’était pas motivée : motif économique, ça ne suffit pas. Elle a visiblement été écrite dans la précipitation. »

Les considérations humaines et déontologiques rejoignent ces indices de discrimination. « A ce moment, il faut aussi s’imaginer l’état de la personne à qui on annonce un cancer le matin, un licenciement le soir », rappelle Me Charles Rominger. En outre, les médecins violent le secret médical, et a fortiori, le serment d’Hippocrate qui garantit la confiance et le respect de l’intimité du patient. « C’est finalement tout le corps médical qui est pointé du doigt, à cause du comportement fautif de deux médecins », lance l’avocat.

D’autant que, selon lui, d’autres pièces pèsent dans le dossier. Entre autres, les employeurs de Corinne Heileman, des docteurs donc, ne lui avaient jamais fait passer de visite médicale en six ans de travail.

Malgré tous ces indices en faveur d’une présomption de discrimination, les Prud’hommes de Poissy prennent « la décision scandaleuse », selon Me Charles Rominger, de maintenir le licenciement.

C’est finalement après un passage à la cour d’appel de Versailles, puis en conseil disciplinaire, et enfin, en appel, à la chambre nationale disciplinaire, que Corinne Heileman arrive au bout de son combat judiciaire. Le licenciement est annulé. Elle choisit de réintégrer le cabinet, qui lui doit cinq années de salaire. Les médecins, contactés par Libération.fr, ne souhaitent faire aucun commentaire sur cette décision.

La discrimination liée à la santé au travail

Cette annulation de licenciement, plutôt rare, découle directement de la violation du principe de non-discrimination. Dans ce type de procédure, le processus judiciaire est inversé : ce n’est pas la victime qui doit prouver la culpabilité de l’accusé, mais l’employeur qui doit prouver qu’il n’est pas coupable de discrimination. Or « le principe de non-discrimination est inscrit dans le droit du travail. Toute disposition prise à l’égard d’un salarié qui va à l’encontre de ce principe est nul », explique Me Annie Moreau.

Ce droit, difficile à appliquer, tend de plus en plus à se faire respecter, selon l’avocate. Ainsi, l’état de santé et le handicap   constituent désormais le second motif de saisine de la Halde, selon son rapport 2009. Ces critères discriminatoires n’ont été reconnus dans le code de travail qu’en 1990, s’ajoutant aux autres motifs : origine, sexe, situation de famille, appartenance à une ethnie, une nation ou une race, opinions politiques, activités syndicales et convictions religieuses (voir le détail du texte).

Bien souvent, ce type de discriminations est lié aux problèmes chroniques, et donc aux absences répétées d’un salarié. L’employeur se doit alors d’aménager son poste de travail, voire de prévoir des mesures d’assistance. Le tout étant de savoir, pour le salarié, comment agir en cas de discriminations.

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