Wikileaks et les notes américaines sur l’Afrique

Publié le 11 décembre 2010 sur OSIBouaké.org

Posts Afrique - 10/12/2010 - Par Sabine Cessou

Ces derniers jours, les câbles américains dévoilés par Wikileaks ont apporté une cascade de révélations et de commentaires croustillants sur l’Afrique. L’intérêt de Washington pour la politique de « rupture » annoncée par Nicolas Sarkozy est manifeste, avec une volonté de la France « de partager le fardeau africain » qui peut servir à contrer l’influence de la Chine.

A Paris, le rôle prépondérant joué par l’avocat Robert Bourgi, conseiller occulte de l’Elysée, est confirmé et abondamment commenté. Bourgi est décrit comme « la quintessence de l’acteur de la Françafrique impliqué dans des intrigues n’importe où en Afrique ». Il intervient sur plusieurs dossiers, Madagascar et la Mauritanie notamment, en prise directe avec Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée. Du coup, il est vertement critiqué par des hommes court-circuités, tel que le volubile Rémi Maréchaux, l’un des anciens conseillers Afrique de Nicolas Sarkozy. Ce dernier décrit Bourgi comme un « mercenaire uniquement préoccupé par son bien-être », un « opportuniste », « un lobbyiste indépendant qui tente d’améliorer sa valeur commerciale en grossissant le rôle qu’il prétend jouer au moyen de fuites organisées dans les journaux économiques ». On apprend, au passage, que Robert Bourgi a vivement agacé Nicolas Sarkozy, en annonçant à la presse la mort d’Omar Bongo avant que l’entourage du chef de l’Etat gabonais ait pu prendre ses dispositions. Une fuite ensuite imputée à l’Elysée...

Sur la Côte d’Ivoire, les révélations de Wikileaks interviennent aujourd’hui, au moment où Barack Obama demande à Laurent Gbagbo de partir. En 2009, l’ambassade des Etats-Unis à Abidjan estimait que Laurent Gbagbo n’organiserait pas des élections s’il n’était pas sûr de les gagner. Dans un mémo envoyé le 2 juillet 2009 à Washington, intitulé « Les élections en Côte d’Ivoire : le mythe et la réalité », Wanda Nesbitt, alors ambassadrice, voyait dans le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo la « troisième » formation du pays, associée à un groupe ethnique « minoritaire », les Bétés. « Pour gagner une élection présidentielle, le FPI a besoin de s’allier avec l’un des deux autres grands partis », notait la diplomate. Or, ces deux partis sont menés par les ennemis jurés de Gbagbo. Celui-ci tente quand même, « depuis 2007 » selon le câble américain, un rapprochement avec le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. En pure perte. Ensuite, Gbagbo se serait préparé à un duel électoral avec Ouattara, persuadé que les électeurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien président Henri Konan Bédié, poussés par des considérations ethniques, se rallieraient plutôt à son parti qu’à celui des « Nordistes » du RDR. Il n’en a rien été, et ces télégrammes révèlent en creux toute l’importance du report effectif des voix des partisans de Bédié vers Ouattara. Un tournant majeur qui marque la fin de « l’ivoirité », le concept qui empoisonne la politique ivoirienne depuis plus de quinze ans.

Au Sénégal, Washington s’alarme d’une « instabilité générale » à venir, si la question de la succession d’Abdoulaye Wade, 84 ans, n’est pas réglée. Le président vieillissant paraît plus soucieux de sa postérité – il demande notamment à Nicolas Sarkozy son soutien pour décrocher le Prix nobel – et des arcanes politiques sénégalaises que des problèmes quotidiens de ses compatriotes - "le prix élevé des denrées de première nécessité, les coupures électriques fréquentes ou la périlleuse émigration des jeunes vers l’Espagne". Il est question d’une « démocratie faiblissante », préoccupée par une « succession dynastique ». Or, Karim Wade, le fils du président, nommé ministre malgré sa défaite à la mairie de Dakar, est « rejeté par les Sénégalais ». Wade saurait pertinemment, selon Marcia Bernicat, l’ambassadrice américaine à Dakar, que « ni lui ni Karim ne peuvent gagner en 2012 sans une fraude massive, que le pays et la communauté internationale ne pourraient supporter ». Dans un télégramme du 18 février 2010, la diplomate fait état d’un entretien peu convaincant qu’elle a mené avec Abdoulaye Wade sur la lutte contre la corruption. Ultime remarque assassine : « Les ressemblances frappantes entre le père et le fils dans ce domaine montrent que tous les deux continuent de sous-estimer l’importance de cette question pour les bailleurs de fonds et, de plus en plus, pour les électeurs. »

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