République Centrafricaine : “Oublier la mort” pour lutter pour la vie des jeunes filles

Tout est encore à faire pour prévenir la propagation du virus chez les jeunes filles de l’intérieur du pays

Publié le 9 juillet 2005 sur OSIBouaké.org

DAKAR, 8 juillet (PLUSNEWS) Quand Donatienne Fetia a été dépistée positive au VIH   en 1995, elle a pensé que tout était fini. Mais sa rencontre avec d’autres personnes séropositives lui a fait “oublier la mort” pour se consacrer à la vie des jeunes filles de son pays.

Fetia a 20 ans lorsqu’elle apprend sa séropositivité. A l’époque, elle est la deuxième co-épouse de son mari, et ce sont les maladies à répétition de sa “rivale” ainsi que les commentaires des voisins qui lui mettent la puce à l’oreille.

“Les gens dans la rue disaient : ‘regarde la petite, elle va mourir, sa rivale est atteinte’, alors j’ai dit à mon mari que je voulais aller me faire dépister”, raconte Fetia.

Face aux réticences de son mari, elle insiste. Il finit par céder et l’amène au centre de dépistage volontaire du VIH   de l’hôpital ‘Km 5’ de Bangui.

“Je n’étais pas préparée à recevoir le résultat positif”, se souvient-elle. “Mes premières pensées ont été pour mes enfants et pour mes parents, je me suis dit que j’allais mourir et les laisser seuls”.

Sa fille aînée, née en 1991 d’une liaison amoureuse alors qu’elle était encore au lycée, n’est pas infectée. La cadette en revanche, qu’elle a eu avec son mari en 1993, est dépistée positive.

Plusieurs semaines après l’annonce du résultat de son test, Fetia ne sait toujours pas que faire. Elle se rend à l’hôpital où des séances d’information sur les infections sexuellement transmissibles sont organisées.

C’est au cours de l’une de ces séances consacrée au VIH  /SIDA   qu’elle apprend qu’il existe un ‘Réseau centrafricain des personnes vivant avec le VIH  ’, le Recapev, fondé en 1994 alors que la lutte contre le sida   en Centrafrique, un pays ravagé par des années de conflits civils, n’est pas encore réellement organisée.

Dès la fin de la réunion, Fetia demande l’adresse du réseau et s’y rend. “Là-bas, j’ai vu que tout le monde se portait bien, des gens m’ont accueillie et ont témoigné”, raconte-t-elle.

“A partir de ce moment-là, j’ai oublié la mort, je me suis dit que j’allais faire comme eux, j’allais me battre”, raconte-t-elle.

Fetia commence à participer aux réunions du réseau. Son mari, qui ne veut toujours pas se faire dépister, lui affirmant que de toute façon “en Centrafrique, ils ne savent pas faire du dépistage, tes résultats sont faux”, refuse qu’elle s’implique. Le couple se sépare.

Un engagement né de la mort de sa fille, séropositive

Quand, en 1996, sa fille cadette succombe à la maladie, Fetia n’hésite plus et s’engage dans la lutte.

“Avec une dizaine d’autres personnes, nous avons commencé à témoigner à visage découvert, à la télévision, dans les entreprises et dans les écoles”, raconte-t-elle.

Dans son entourage, les gens se moquent d’elle. “Ils disaient : que fait-elle, de toute façon elle va mourir ?”, raconte Fetia.

Loin de se décourager, cette jolie jeune femme persévère. En 2001, un an après la mort de son mari dont elle s’est occupée jusqu’au bout, elle fonde une association, le Congrès national des jeunes filles vivant avec le VIH  , qui cible les filles et les jeunes femmes séropositives âgées de 15 à 35 ans.

Cette association, dont elle est toujours la présidente, compte aujourd’hui 350 membres et fournit un appui aux jeunes mères allaitantes infectées au VIH  .

Selon le programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, les femmes en Centrafrique sont, plus que les hommes, plus touchées par le virus et le sont plus tôt.

Des données statistiques du centre national de références des maladies sexuellement transmissibles, publiées en décembre 2002 et citées par le PNUD, ont montré que les jeunes filles âgées de 15 à 24 ans sont cinq fois plus infectées que les garçons de la même tranche d’âge.

Le taux de prévalence en Centrafrique était de 13,5 pour cent fin 2003, selon le programme commun des Nations unies sur le sida  , Onusida  . Quelque 260 000 personnes vivent avec le VIH   dans ce pays de 3,7 millions d’habitants.

Depuis plus de dix ans qu’elle se sait séropositive, Fetia n’a connu qu’une infection opportuniste liée au virus, la tuberculose, qui a été soignée. Mais elle n’a jamais été hospitalisée, se réjouit-elle.

Elle est sous traitement antirétroviral (ARV  ) depuis juillet 2003, un traitement qui coûtait au patient 23 000 francs CFA par mois (environ 45 dollars) lorsqu’elle a commencé à le prendre. Sa grande soeur les lui payait, jusqu’à il y a un peu plus de six mois.

Car grâce à un financement de 25 millions de dollars sur cinq ans accordé par le Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme en 2003, Fetia reçoit gratuitement ces médicaments qui prolongent et améliorent la vie des personnes vivant avec le VIH  , comme 680 autres patients, tous à Bangui.

Le dépistage démarre, la prise en charge est encore inexistante à l’intérieur du pays

La situation des personnes infectées par le virus vivant dans la capitale s’est améliorée ces dernières années, estime Fetia, mais en province, aucun centre public ne fournit actuellement d’ARV  , alors que les campagnes de promotion du dépistage commencent à porter leurs fruits.

“Les gens commencent à aller se faire dépister”, constate Fetia, qui fait de la sensibilisation dans son quartier, à Bangui. “Certains viennent me voir pour que je les aide, un père m’a amené sa fille pour que je la fasse dépister parce qu’il n’osait pas y aller, un couple avec un enfant aussi m’a demandé de l’aider, ils sont tous séropositifs”.

Selon le PNUD, quelque 8 000 personnes sont allées se faire dépister au cours des quatre premiers mois de cette année.

Mais l’accès au dépistage et aux traitements reste difficile dans les autres provinces du pays, regrette Fetia, en dépit de la volonté affichée par les autorités de décentraliser la réponse au VIH  /SIDA  , pour faire face à “une tendance extensive de l’infection vers l’arrière-pays”, selon un rapport du PNUD de janvier 2005.

Actuellement, huit centres de dépistage volontaire du VIH  /SIDA   sont opérationnels dans le pays, dont deux à Bangui, selon l’agence onusienne.

Huit autres centres sont en construction et devraient être terminés avant la fin de l’année, a dit Cyriaque Edjo, représentant résident adjoint du PNUD en Centrafrique, soit un dans chacune des 16 préfectures du pays. Ces centres devraient à terme proposer des services de dépistage et de traitements.

La construction de ces centres a pris du retard entre autres à cause du “mauvais état des routes ainsi que [de] l’insécurité ambiante”, qui n’ont pas permis la construction de centres de dépistage dans les localités de province, a estimé l’agence des Nations unies dans son rapport.

Cette insécurité, Fetia, en entend souvent parler.

Elle, qui avait arrêté ses études avant le baccalauréat, a repris il y a quelques mois une formation en informatique.

En juin, elle a été recrutée par le PNUD, pour faire de la sensibilisation... au désarmement volontaire, auprès des ex-combattants, dans le cadre du programme de démobilisation, désarmement et réinsertion lancé par le gouvernement centrafricain en décembre 2004 avec le soutien des Nations unies, et qui vise à faire rendre les armes à plus de 7 000 ex-combattants.

Parallèllement à ce nouvel emploi, Fetia continue d’assurer la présidence de son association et la trésorerie générale du réseau Recapev, qui regroupe aujourd’hui 10 organisations, dont une s’occupe de quelques uns des 110 00 orphelins du sida   que compte le pays, selon l’Onusida  .

Elle continue également à témoigner à visage découvert, pour lutter contre la discrimination et les idées reçues.

“Aujourd’hui les gens me voient, et ils ne croient pas que je suis séropositive”, dit cette jeune femme, élégante et gracieuse, avec un large sourire. “C’est pour ça que j’ai toujours le résultat de mon test dans mon sac, c’est presque devenu une pièce d’identité !”

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