Les fonds volés par les dictateurs à leur propre pays représentent entre 20 et 40 milliards de dollars par an

Publié le 11 juin 2010 sur OSIBouaké.org

Le Monde | 09.06.10 | Alain Faujas

On estime que le général Sani Abacha, qui dirigea le Nigeria d’une main de fer de 1993 à 1998, détourna entre 3 et 5 milliards de dollars durant sa dictature. Une sorte de record !

"Il procédait de deux façons, explique Ngozi Okonjo-Iweala, directrice du Groupe de la Banque mondiale et ancienne ministre des finances du Nigeria. Soit il faisait gonfler les marchés publics pour s’approprier la différence, soit il allait directement se servir à la banque centrale de mon pays. Avec son fils et ses amis, il faisait ensuite circuler cet argent du Kenya à Londres, puis en Suisse, pour brouiller les pistes." Elle ajoute : "Notre président Olusegun Obasanjo a lancé des avocats sur la trace de ces milliards. Cela a permis de récupérer 505 millions de dollars qui ont été utilisés, sous le contrôle d’ONG, au développement des zones déshéritées."

Cet exemple de prédation tout comme ceux des familles Duvalier (Haitï) ou Marcos (Philippines) étaient au coeur de la conférence intitulée : "Pas de refuge pour les biens mal acquis", qui réunissait à Paris, le 8 et le 9 juin, banquiers, magistrats, régulateurs et ministres, à l’initiative des Nations unies, de la Banque mondiale et de la Suisse.

La récupération de ces biens "mal acquis" représente un énorme enjeu. Car les fonds volés à leur propre pays par les dictateurs et leurs complices représentent entre 20 et 40 milliards de dollars (16,7 à 33,4 milliards d’euros) par an, selon la Banque mondiale.

Pour des pays où le moindre dollar compte, la saignée est meurtrière, quand on sait que 100 millions de dollars permettent de traiter pendant un an 600 000 malades du sida   ou de raccorder à l’eau 250 000 ménages.

La traque de l’argent volé est difficile : en seize ans, seuls 5 milliards de dollars ont été récupérés. "Il faut prouver l’origine criminelle des fonds, explique Jean Pesme, manager "intégrité des marchés financier" à la Banque mondiale. Cela suppose que les pays victimes prennent l’initiative, et que les centres financiers se montrent coopératifs. Dans les deux cas, cela ne va pas de soi."

Les procédures pénales ne concordent pas et même quand la bonne volonté est générale, les obstacles se multiplient. Ainsi, l’Initiative StAR (Stolen Assets Recovery), bras armé de l’ONU   et de la Banque mondiale pour combattre la corruption, a-t-elle aidé Haïti à entamer une procédure pénale pour obtenir de la Suisse la restitution de 7 millions de dollars gelés sur les comptes de la famille Duvalier.

FORMATION DES POLICIERS

Malgré l’aide suisse, la Cour suprême helvétique a débouté Haïti : la demande n’était pas fondée en droit. Le gouvernement de Berne a promis de légiférer pour permettre des restitutions sans attendre une décision de justice.

"Parce que nous sommes tous l’une des causes du problème, nous devons être tous un des éléments de la solution afin que la corruption cesse d’entraver le développement", a déclaré Micheline Calvy-Rey, ministre suisse des affaires étrangères, qui a souligné que son pays avait restitué 1,6 milliard de francs suisses (1,16 milliard d’euros) aux pays victimes.

La conférence de Paris sur les "biens mal acquis" a voulu mettre en présence toutes les acteurs de cette traque, afin de leur faire partager les pratiques qui marchent. Par exemple, le financement par l’agence de coopération britannique de la formation des policiers chargés de pister les fonds frauduleux à la City.

Il s’est agi aussi de faire pression sur les pays du G20 qui n’ont pas encore ratifié la Convention des Nations unies contre la corruption (Cnucc), au premier rang desquels l’Allemagne et le Japon.

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