Un quart des détenus souffrent de maladies psychiatriques

Rapport Albrand sur le suicide en prison.

Publié le 22 mai 2010 sur OSIBouaké.org

Rue89 | Par Anouchka Collette | 21/05/2010

Le premier hôpital-prison pour les détenus atteints de troubles psychiatriques graves est inauguré vendredi par la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie. Trompe l’œil ou réelle avancée ? Le Dr Louis Albrand, auteur d’un rapport sur le suicide en prison et coordonnateur d’un collectif pour l’humanisation des prisons et des hôpitaux psychiatriques, répond aux questions de Rue89.

Êtes-vous favorable à l’ouverture de l’Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon, premier hôpital-prison ?

C’est une initiative que je salue, qui va dans le bon sens. Mais il faudrait d’abord s’attaquer au problème de fond, spécifique à la France, le nombre hallucinant de malades en prison : 25% des détenus sont atteints d’une maladie psychotique grave (schizophrénie, paranoïa…), soit environ 15 000 personnes.

Si l’on inclut les personnes dépressives ou les troubles plus « légers », qui ne nécessitent pas d’hospitalisation, on atteint les 40%.

Or, cet établissement accueillera une soixantaine de personnes. Même si neuf centres similaires ouvrent, comme prévu d’ici 2012, cela reste très insuffisant.

Comment expliquer qu’un quart des détenus soient atteints de maladies psychiatriques ?

A cause des lacunes de la psychiatrie en France. Dans les vingt dernières années, 40 000 lits de psychiatrie ont été supprimés. A la fois pour des raisons financières et aussi parce que l’efficacité des neuroleptiques a beaucoup progressé, et l’on estime parfois que l’on peut soigner les malades chez eux.

Mais nous n’avons pas créé de structures intermédiaires, ce qu’on appelle la « psychiatrie de secteur », pour prendre le relais. Des centres de jours par exemple, où les détenus vont prendre leurs medocs le matin et discuter avec les soignants.

Résultat ?

De nombreux malades sont mal soignés, sans traitement, et donc potentiellement dangereux. Ils vivent souvent dans la rue, se droguent et/ou boivent… Et finissent par se retrouver en prison. Ensuite, c’est un cercle vicieux. Le climat pénitentiaire exacerbe et aggrave ces maladies, alors que les prisons manquent cruellement de psychiatres. S’ils sortent, ils vont y retourner.

Pour moi, ces déficiences de la prise en charge psychiatrique en France expliquent en grande partie les 40% de récidive, ou les suicides en prison.

Quel est le rôle de la justice dans cette « surreprésentation » de malades ?

Nous devons nous interroger : pourquoi les condamne-t-on ? Il faut soigner avant de punir, et ne pas céder à la pression des victimes qui réclament un procès et des sanctions.

Mettons sur la table la question de l’expertise médicale : lorsqu’on admet que la personne n’était pas responsable de ses actes, elle peut tout de même se retrouver en prison ! Encore une spécificité française.

Quelles sont vos solutions pour une meilleure prise en charge ?

Il faut, avant tout, développer en amont la psychiatrie de secteur. C’est le meilleur moyen de désengorger les prisons. L’Italie est un modèle en la matière. Un vaste mouvement de psychiatrie hors les murs s’y est développé dans les années 60.

En aval, la généralisation des UHSA serait une bonne chose, pour les détenus qui souffrent des pathologies les plus lourdes. Et pour tous les autres, redonnons à la psychiatrie pénitentiaire ses lettres de noblesse, en augmentant les postes de psychiatres, très largement insuffisants dans les prisons.

imprimer

retour au site