Plus de 80 enfants adoptés sont abandonnés chaque année

Publié le 4 mai 2010 sur OSIBouaké.org

France Soir - Nicole Korchia - 03/05/10

Les chiffres sont secrets et tabous en France : officiellement 2 % des adoptions sont vouées à l’échec en France. Mais officieusement, les spécialistes parlent carrément d’un cas sur dix… Notre enquête.

Un terrible constat…

Les échecs de l’adoption, on en parle peu. Pourtant, même en France, des histoires déchirantes d’enfants adoptés remis aux institutions, puis renvoyés dans leurs pays sont fréquentes et bien réelles. Sujet tabou, polémique, aucune statistique officielle n’est mise en avant. Le dossier de l’adoption est trop sensible et le constat de l’échec enfoui sous les centaines de demandes en attente. Si des chiffres de 2 à 3 % d’échec circulent, c’est déjà énorme, car cela signifie que sur environ 4.000 enfants adoptés par an, plus de 80 sont abandonnés chaque année, rendus comme un simple appareil qui ne fonctionne pas ! Qu’advient-il ensuite de ces petits rejetés coup sur coup, par leur famille biologique puis adoptive ? Comment pourront-ils se reconstruire ? Et comment expliquer qu’après tant de démarches et d’attente, des parents adoptifs se révèlent incapables de garder cet enfant tant rêvé ?

Pourquoi ces échecs ?

« Dans le cadre de l’adoption, explique-t-on à l’AFA (Agence française de l’adoption), il y a très souvent l’enfant rêvé et l’enfant réel. Et les deux ne se rejoignent pas toujours. L’adoption est vraiment une greffe qui prend ou qui ne prend pas. » En effet souvent les parents vont bien au-delà de leur projet initial en se disant qu’ils pourront assumer un enfant plus grand, avec un passé psychologique chargé ou un problème physique voire pathologique… Mais au fil des mois, les choses se compliquent… Le docteur Geneviève André-Trevennec, directrice de Médecins du monde, explique : « Il faut faire prendre conscience aux parents de la responsabilité qu’ils ont eue dans leur démarche d’adoption. Ils se sont engagés, c’est comme lorsqu’on a un enfant biologique qui né avec des difficultés, on l’assume et on l’aime jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. »

Que deviennent ces enfants rejetés ?

Lorsque l’adoption plénière a été reconnue, l’enfant reste à jamais lié juridiquement à ses parents. Il est placé par les services sociaux, mais il ne sera plus jamais adoptable plénièrement. Lorsque qu’il est étranger et que son pays d’origine a prononcé un jugement, son pays n’en veut plus. Et s’il n’est pas encore enregistré à l’état civil français, il se retrouve un peu apatride. Cela arrive particulièrement lors d’adoptions individuelles.

Pour éviter cela, des préparations psychologiques à la parentalité adoptive et un suivi des familles sont progressivement mis en place par les organismes d’adoption. « Avec la tendance actuelle de l’adoption internationale qui propose des enfants de plus en plus grands, issus de situations complexes, cela devient vital. Sinon les échecs se multiplieront ! Une famille soutenue et avertie réagit pour ne pas arriver à des situations extrêmes », atteste Geneviève André Trevennec. Mais c’est encore insuffisant et de nombreux signes d’alarmes passent inaperçus. Pourtant, un échec de l’adoption n’arrive jamais du jour au lendemain. Tant de vies brisées dans les premières années d’existence ne peuvent laisser indifférent…

« Plus de 30 % des agréments accordés devraient être refusés »

Le Dr. Pierre Lévy-Soussan est pédopsychiatre, médecin directeur Consultation filiations à Paris.

France-Soir. Qu’est-ce qu’un véritable échec de l’adoption ? Pierre Lévy-Soussan. Les plus graves sont ceux qui se traduisent par une maltraitance, avec abandon et remise de l’enfant à l’ASE   (Aide sociale à l’enfance). Ils vont bien au-delà des 2 % annoncés. Puis il y a les équivalents d’échecs lorsque la situation a dégénéré, à tel point que les parents ou les enfants n’éprouvent plus rien ensemble sauf l’indifférence ou la haine. Les professionnels évaluent globalement ces échecs à 10 ou 15 %. Et c’est énorme…

F.-S. Que faudrait-il faire pour éviter de tels drames ? P. L.-S. Etre plus sélectif sur les agréments et arrêter l’amateurisme institutionnalisé en matière d’adoption. Un dossier rejeté par la commission peut ensuite être sauvé par un président de conseil général ou un juge. Amateurisme ! N’importe qui peut donc obtenir un agrément. Le taux de refus national est de 10 %, avec 70 % des départements entre 0 et 10 % ! Plus de 30 % devraient être refusés car les régions qui travaillent le mieux ont un taux de refus entre 30 et 40 %. Aucun politique ne veut remettre en question la loi et les enfants en font les frais !

F.-S. Comment agir concrètement ? P. L.-S. En assumant une sélection efficiente des candidats, en faisant un travail d’appariement des familles : tel enfant pour tel parent, car n’importe quel enfant ne peut pas aller avec n’importe quel parent. Il faut arrêter de s’en remettre au hasard de l’arrivée des dossiers comme le fait l’AFA.

F.-S. Fait-t-on un dossier trop rose de l’adoption par rapport à sa réalité ? P. L.-S. Bien sûr, et la peopolisation y contribue, l’adoption a une image de conte merveilleux. Les réalités et les difficultés sont mises à l’écart et cela n’aide pas les futurs parents adoptifs qui se retrouvent souvent dépassés par les obstacles qu’ils rencontrent.

F.-S. Une histoire comme celle du petit garçon russe aurait-elle pu arriver chez nous ? P. L.-S. Non seulement ça aurait pu, mais cela arrive en France. Des enfants qui sont renvoyés avec leur valise à l’ASE   cela n’a malheureusement rien d’exceptionnel…

Un acte grave que la justice sanctionne

Le 29 mars 2010, le tribunal correctionnel de Nantes a condamné des parents adoptifs à neuf mois de prison avec sursis pour avoir abandonné en 2004 leurs deux enfants éthiopiens. Adoptés quatre ans auparavant, ils ont été remis à l’ASE   quelque temps après la naissance de l’enfant biologique du couple mis en cause. Ils étaient « violents et difficiles », ont expliqué les parents adoptifs qui payaient 400 euros par mois les services sociaux pour leur garde, mais n’exerçaient plus leur droit de visite.

Deuxième histoire : celle d’un couple qui avait adopté un premier enfant chinois puis un deuxième, qui vers 3 ans a manifesté une pathologie médicale. Quand les parents ont entendu le diagnostic, ils ont laissé l’enfant à l’hôpital et sont allés déclarer l’abandon à l’ASE  . Bien évidemment, cela a déstabilisé l’aînée qui a pensé que si elle tombait malade, ses parents l’abandonneraient. Le deuxième enfant a été immédiatement placé dans une famille d’accueil remarquable, qui l’a accompagné dans ses traitements et l’a ensuite adopté. C’est une histoire malheureuse qui ne se termine pas trop mal….

Troisième cas : celui de cet enfant né dans un pays de l’Est. Il s’était bien adapté, mais la famille en a fait sa propriété, en l’isolant totalement du monde. En dehors de l’école, il ne voyait personne d’autres que ses deux parents. Un intervenant éducatif chargé de le suivre a fait un signalement judiciaire après constat des faits, parce que les parents refusaient de se faire aider. Résultat, l’enfant a été mis en placement provisoire. Enfin, plus récemment, une mère est allée chercher une enfant à Haïti après le séisme du 12 janvier, mais ne pouvant assumer cette adoption l’a rendue aux services sociaux le mois dernier. La petite fille est aujourd’hui à la DDASS de La Réunion, abandonnée après moins de trois mois passés dans une nouvelle famille…

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