Shabnam, 7 ans, esclave à domicile

Au Pakistan, les enfants exploités par des particuliers sont légion. « Libération » a rencontré l’une d’entre eux.

Publié le 6 avril 2010 sur OSIBouaké.org

Libération - 03/04/2010 - Par Célia Mercier, envoyée spéciale à Karachi

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Shbnam, 7 ans, et son frère Salman, 10 ans, ont été recueillis par une ONG à Karachi.
(Célia Mercier / Libération)

Elle a claqué la porte de la maison. Puis elle a pris ses jambes à son cou. Avec son frère Salman, la petite a couru loin de la maison de « Madame ». Un passant a retrouvé les deux enfants hagards, épuisés, errant dans les rues de Karachi, au Pakistan. Il les a emmenés dans le foyer d’une ONG, la fondation Edhi. C’est ici que Shabnam, 7 ans, est hébergée depuis quelques mois avec Salman, 10 ans. La fillette malingre, aux grands yeux en amande, raconte qu’elle vivait depuis deux ans avec son frère chez « Madame », la mère de famille qui les employait comme domestiques.

Les deux enfants travaillaient du matin au soir, il leur fallait laver les sols, récurer la salle de bain, faire la vaisselle. Les petits domestiques étaient nourris, peu et mal, et, parfois, payés 10 euros par mois. Pas le droit de s’asseoir, ni de jouer avec les enfants de « Madame », âgés de 6 et 7 ans. Au début « Madame » était gentille, puis elle s’est mise à distribuer des gifles, à rouer les enfants de coups de bâton, pour une assiette brisée ou un verre mal lavé. Désespérés, Shabnam et son frère se sont enfuis. Sans nulle part où aller. La fillette s’effondre en larmes lorsqu’elle évoque son père. Cordonnier ayant 10 enfants, il croulait sous les dettes, « des hommes venaient à la maison le frapper devant nous. J’ai dit à papa que j’allais l’aider à gagner de l’argent. Il nous a envoyés Salman et moi à Karachi. »

« Banale ». Après avoir récupéré les deux petits, la fondation Edhi a contacté le père. L’homme a répondu qu’il ne pouvait pas venir chercher ses enfants à Karachi. Hina, une employée de l’ONG, coiffée d’un voile, hoche la tête l’air placide. « C’est une histoire banale. Cela arrive souvent. Ici, nous recueillons une dizaine d’enfants fugueurs tous les mois. Parfois ce sont des petits domestiques comme Shabnam, ils n’ont jamais plus de 10 ans, ils sont battus par leurs employeurs. »

Une histoire banale donc, comme celle de centaines de milliers d’enfants au Pakistan, en grande majorité des filles, employés à domicile. Bien que l’âge légal pour travailler soit de 14 ans, nombre de ces mineurs sont exploités et parfois livrés en pâture à des employeurs sadiques. A Karachi, Zia Awan, activiste des droits de l’homme et fondateur de l’ONG Madadgaar, reçoit régulièrement des enfants victimes de maltraitances dans la maison où ils travaillent. L’avocat, à la moustache sévère, défend en ce moment le cas de Danial, 8 ans, et de ses deux jeunes frères et sœurs, vendus comme domestiques pour 700 euros à une famille. « C’est du trafic d’enfants et de l’esclavage dont les parents sont complices », constate Zia Awan.

L’avocat énumère les cas : violence, viols, torture voire même kidnapping. « Ces enfants sont à la merci de leurs employeurs, ils vivent dans la peur en permanence. Souvent, lorsqu’ils réclament leur paie, ils sont accusés d’avoir volé quelque chose dans la maison. » Zia Awan porte ces affaires devant la justice, tente de faire condamner les employeurs. Une goutte d’eau dans l’océan. Rien ne semble changer dans un pays à la dérive, où près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Une loi rend pourtant l’école primaire obligatoire pour tous les enfants, sous peine d’amende infligée aux parents. « Cela pourrait permettre de diminuer le problème du travail des enfants, estime Zia Awan, mais ce n’est pas appliqué. De toute façon, le gouvernement n’est même pas capable de faire fonctionner les écoles publiques. » Et l’emploi des enfants domestiques perdure dans tout le pays. Les petits serviteurs sont recrutés dans les bidonvilles ou les campagnes, ce sont parfois des « agents » qui viennent les chercher pour les emmener en ville, empochant ensuite une partie de leur maigre salaire.

Blessures. On trouve aussi ces enfants dans les foyers les plus aisés. C’est dans une de ces riches familles que travaillait Shazia Bashir, une fillette chrétienne de 12 ans. Elle était bonne chez Mohammad Naeem, puissant avocat et ex-président du barreau de Lahore. Fin janvier, Shazia est emmenée en urgence à l’hôpital par son patron. Elle décède sur place. Son corps est couvert de blessures infectées. Ses parents, une femme de ménage et un éboueur, accusent Naeem d’avoir torturé leur fille à mort. L’avocat prétend que sa bonne est « tombée dans les escaliers », il propose 200 euros à la famille pour qu’elle abandonne les poursuites judiciaires. Mais les parents persistent malgré les réticences de la police à enregistrer leur plainte.

Le notable est finalement arrêté, avant d’être libéré sous caution, sous la pression de ses confrères. « Ses amis avocats lui ont mis des guirlandes de fleurs, ils l’ont porté en triomphe. Quelle honte pour notre pays ! » se désole Tahira Abdullah, responsable de la Commission des droits de l’homme (HRCP) à Islamabad. Certains membres du barreau ont même promis qu’ils « brûleraient vifs » les avocats se risquant à défendre la famille de la victime…

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