Sida : l’heure d’arrêter l’épidémie

Publié le 28 novembre 2009 sur OSIBouaké.org

Libération - 27/11/2009 - Par Eric Favereau

Un rapport que « Libération » s’est procuré propose une nouvelle politique, basée sur un dépistage généralisé et une prévention tous azimuts.

Et de trois ! Après le rapport du Conseil national du sida   il y a deux ans, puis les recommandations de la Haute autorité de santé le mois dernier, c’est au tour du rapport des professeurs France Lert et Gilles Pialoux, respectivement directrice de recherches à l’Inserm et chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon (Paris) d’enfoncer le clou en matière de prévention et de dépistage du sida  . Avec un message fort : la politique actuelle n’est plus adaptée, et ce décalage est d’autant plus préjudiciable qu’aujourd’hui existent les moyens de casser l’épidémie.

Comment ? En dépistant une fois la population générale, en lançant des programmes multiples en direction des gays et des migrants, et bien sûr en traitant tous ceux qui en ont besoin le plus vite possible. Et la courbe épidémique… s’effondrera. « C’est urgentissime. Aujourd’hui, on a les moyens d’arrêter l’épidémie », répète avec force Bruno Spire, président d’Aides, la plus importante association de lutte contre le sida   en Europe. Aujourd’hui, quelques jours avant la journée mondiale du sida   du 1er décembre, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, va présenter ce rapport, que Libération s’est procuré. Et sa nouvelle politique. Elle a désormais toutes les cartes en main.

Le retard au diagnostic. Rappel des faits : la France est bizarre en matière de dépistage. Elle dépiste massivement, mais elle le fait n’importe comment, comme le soulignait la Haute autorité de santé : plus de 5 millions de tests effectués par an. Or, plus de 40 000 personnes infectées ignorent leur séropositivité sur un total d’environ 160 000. « Et 47% des sujets pour lesquels un diagnostic de sida   a été porté présentaient un retard au dépistage. » Or, « en France, poursuivent France Lert et Gilles Pialoux dans leur rapport, l’épidémie se caractérise par une prévalence [nombre de cas à un moment donné, ndlr] très basse en épidémie générale, une prévalence plus élevée et hétérogène dans la population immigrée d’Afrique subsaharienne, et une prévalence forte chez les homosexuels masculins ».

Face à ce nouveau constat, les politiques publiques ont longtemps hésité. Avançant sans beaucoup de cohérences, entre d’un côté la prévention qui vivotait au gré des intérêts des ministres, et de l’autre les traitements. Or, les deux sont devenus inséparables. L’arrivée des trithérapies avec leur succès, le fait que l’on se rende compte qu’une personne séropositive bien prise en charge n’est presque plus contaminante, toutes ces caractéristiques font que les politiques de prévention doivent changer radicalement, en intégrant les traitements, mais aussi en s’intéressant en priorité à ceux qui se contaminent. En particulier, chez les gays où la situation est alarmante : à Paris, près de 20% d’entre eux sont contaminés (lire page ci-contre).

Priorité aux tests. Dans ce contexte, une politique moderne commence à se dessiner. On la voit, par exemple, à l’œuvre au Canada. Premièrement, proposer un dépistage général dans toute la population. « Aujourd’hui, en population générale, notent France Lert et Gilles Pialoux, on a tendance à ne proposer de tests qu’après une prise de risque. Cela ne permet pas de retrouver tous ceux qui ont été contaminés sans le deviner… Nous demandons que les recommandations de la Haute autorité de santé pour un dépistage dans toute la population générale soient mises en œuvre le plus rapidement possible. »

Second volet, les groupes plus à risque : « Chez les gays, la prévention est une priorité absolue et urgente », affirment avec force France Lert et Gilles Pialoux. C’est sur eux qu’il faut s’engager sur une politique de prévention tous azimuts. Mais laquelle ? S’ils rappellent que « les préservatifs restent le socle de la prévention du VIH   »,« il faut ouvrir la prévention à toutes les nouvelles approches », dont celles concernant la réduction des risques : il s’agit, là, de s’adresser à ceux qui, quoi qu’on dise, continuent parfois à se mettre en danger. « Il faut aller vers eux, les personnes qui ont besoin de prévention spécifique. » Même attitude très active à l’égard des migrants, avec un souci d’actions de proximité en intégrant les premiers concernés.

Des mesures simples. Au final, les deux chercheurs déclinent 96 actions qui dessinent un plan d’ensemble. Des mesures simples. Exemples : en finir avec le monopole du fabricant du préservatif féminin, développer les traitements juste après une prise de risque. Ils insistent sur la nécessité d’une véritable politique de réduction des risques : donner des conseils à ceux qui n’arrivent pas à mettre à 100% le préservatif, en préconisant des pratiques moins à risque, voire des traitements préventifs. Pêle-mêle, ils proposent, pour les gays, les lesbiennes, les trans, « la création de centres de santé sexuelles LGBT ». Demandent la nomination d’un « e-responsable » de la santé sexuelle des LGBT au sein de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), tant les nouvelles pratiques et les nouvelles rencontre se jouent sur le Net. Mais aussi, il faut s’occuper des trans, des échangistes… Bref, s’adapter à toutes les pratiques pour casser ensuite toutes les voies de contamination.

Globalement, ils sont pour un dépistage annuel chez les gays, dans les DOM-TOM et le développement des tests rapides. « Nous considérons, comme le Conseil national du sida  , qu’un traitement efficace réduit la transmission du VIH  . » Et France Lert et Gilles Pialoux rappellent l’importance du « pacte social contre la pénalisation » : en clair, ne pas criminaliser la contamination involontaire.

Sur un volet plus institutionnel, les deux chercheurs demandent « une nouvelle gouvernance », avec une meilleure définition des rôles entre la Direction générale de la santé et l’Institut national de la prévention. Ils rappellent qu’il ne faut pas négliger la recherche : pour cela, les deux chercheurs souhaitent que le rapport Yéni - qui actualise tous les ans les recommandations sur les traitements contre le sida   - le fasse aussi pour les mesures de prévention.

Au final, un plan cohérent qui a le mérite de prendre en compte le changement radical dans le visage de l’épidémie. Et surtout, il est soutenu par la quasi-totalité du monde associatif mais aussi par les chercheurs et les médecins, à l’instar du Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence française de recherche contre le sida  .

« On sait ce qu’il faut faire pour casser l’épidémie », nous disait, récemment, Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine. Le gouvernement - qui aime dire qu’il se bat contre les immobilismes - a une occasion en or de mettre cette maxime en pratique.


NDLR : nous complétons cet article en y ajoutant le rapport des professeurs France Lert et Gilles Pialoux,

imprimer

retour au site