L’adoption concerne aussi des enfants au parcours psychosocial complexe

Un article publié dans la revue Accueil n° 150, février-mars 2009

Publié le 15 novembre 2009 sur OSIBouaké.org

OSI Bouaké, 15 novembre 2009

Enfants en recherche de famille est un service associatif d’Enfance et familles d’adoption (EFA), spécialisé dans l’adoption d’enfants dits à particularité. Cet article que nous éditons sur OSI Bouaké a été publié par EFA dans la revue Accueil. Il revient sur les particularités de ces enfants, en particulier celles qui sont liées au parcours de vie des enfants pupilles vivant en France.

À ERF, les projets d’adoption ne concernent pas seulement des enfants ayant des problèmes de santé, mais également des enfants pupilles ayant un parcours de vie plus ou moins chaotique. Traditionnellement, ces enfants sont oubliés de l’adoption puisqu’ils sont réputés « trop grands » pour pouvoir s’inscrire dans une nouvelle filiation. En effet, il est communément partagé que « passé un certain âge », les enfants ne pourraient plus intégrer une nouvelle lignée. Cette approche déterministe du développement de l’enfant selon laquelle l’essentiel de la personnalité se construirait avant l’âge de trois ans, ne repose cependant pas sur un consensus scientifique et est décriée par nombre de psychologues et de pédopsychiatres [1]. Mais de fait, la plupart des postulants souhaitent adopter un enfant de moins de 2 ans. Quand bien même ils s’ouvrent à l’adoption d’un enfant dit grand, les postulants obtiennent un agrément pour un enfant de 6 ans ou moins. Actuellement, accueillir un enfant âgé de plus de 6 ans reste difficile à envisager tant pour les professionnels de la Justice et du socio-éducatif que pour les couples ou les familles postulantes.

Qui sont ces enfants ?

Néanmoins pour ERF, l’adoption s’est déplacée vers des projets engageant de plus en plus des enfants grands, ayant souvent plus de 6 ans, devenus adoptables tardivement du fait d’une histoire familiale chaotique. Il s’agit d’enfants placés qui peuvent avoir entretenu des liens plus ou moins épisodiques avec leur(s) parent(s) biologique(s), même si ces liens n’étaient pas satisfaisants du point de vue affectif et psychologique. Pensant qu’il est de notre devoir de réaliser un travail d’information et de sensibilisation des postulants aux « particularités psychosociales » de ces enfants, voici quelques exemples concrets.

  • Un enfant pupille de 6 ans, placé à l’âge de 2 ans suite à des négligences graves ayant entraîné une hospitalisation puis un placement judiciaire en famille d’accueil.
  • Une grande fille de 8 ans et demi, dont la mère avait entretenu un lien distant avec elle pour consentir à son adoption alors qu’elle avait 6 ans ;
  • Un garçon de 8 ans, placé 3 fois entre l’âge de 3 et 6 ans, ayant été très gravement maltraité physiquement, suivi en psychothérapie dans le cadre de son placement depuis 2 ans ;
  • Une autre fillette de 9 ans et demi, née de parents toxicomanes, dont le père s’est suicidé à la naissance, qui a été précocement placée en famille d’accueil et dont la mère est décédée en 2008...

Tous ces enfants ont dépassé l’âge où l’on peut entretenir l’illusion qu’un « effacement du passé » serait possible ; ils ont eu des parents, parfois gravement défaillants, maltraitants, ils ont été placés, parfois tardivement, souvent dans plusieurs familles différentes, placements successifs entrecoupés de retours à la maison éprouvants. La vie leur a appris à ne plus faire confiance aux adultes, ils n’ont pas eu le temps d’apprendre à s’aimer eux-mêmes, ils se pensent voués à un destin sombre et à une vie de malheur.

Ces parcours « cabossés » ont un retentissement psychologique qui se traduit dans le comportement des enfants : ayant appris à ne compter que sur eux-mêmes, ils ont un développement égocentré, un narcissisme fragile, ils sont affectivement insécurisés et donnent à voir beaucoup d’anxiété. Il est fréquent que ces enfants aient des comportements paradoxaux mêlant une importante avidité affective, demandant à être au centre de toutes les attentions, tout en mettant sans cesse à l’épreuve les nouveaux liens, par exemple en transgressant les règles de la vie familiale, en défiant l’autorité, en développant de l’agressivité à l’égard des autres enfants. Ils voudraient être aimés tout en étant persuadés qu’ils ne sont pas aimables. Ces comportements s’inscrivent sur un fond d’anxiété parfois très envahissant qui va de pair avec une hyperactivité, le besoin de bouger, de se dépenser physiquement. Ces enfants peuvent être hypervigilants, dormir peu ou avoir un sommeil agité ; ils développent un goût pour la nature et une attirance pour les animaux.

Accueillir un tel enfant au sein de sa famille relève de deux nécessités simultanées :

  • une bonne préparation du couple ou de la famille adoptante,
  • un véritable travail de préparation de l’enfant.

Préparation des postulants Pour les postulants, se préparer c’est avant tout s’informer sur le fonctionnement psychologique de ces enfants, sur les différentes formes possibles que peuvent prendre de telles blessures. C’est développer ses capacités d’observation, se préparer à faire face à ces comportements difficiles. C’est être capable de se montrer contenant, d’installer un cadre éducatif et affectif sécurisant, tout en restant souple et adapté. C’est aussi travailler sur sa propre anxiété pour ne pas risquer de s’effondrer face aux épreuves.

Préparation des enfants Pour l’enfant, un véritable accompagnement psychologique vers le projet d’adoption doit être mis en place par les professionnels qui le suivent. Il s’agit de travailler son adoptabilité psychosociale, un travail indispensable et déterminant dans la réussite ultérieure de l’adoption. Au centre de nos préoccupations, cette question de l’adoptabilité psychosociale de l’enfant et de son accompagnement fera l’objet d’un prochain article dans cette revue.

Dans la perspective d’une adoption, la question de l’âge de l’enfant est bien moins déterminante que le travail d’évaluation, de préparation et d’accompagnement de l’enfant et de la famille qui l’adopte.

De plus en plus sollicité pour ce type de projets, ERF le sera davantage encore dans les années à venir si les services de l’Aide sociale à l’enfance se mobilisent, comme les y encouragent leurs autorités de tutelle, afin de former des projets d’adoption pour des enfants devenus pupilles tardivement ou en voie de le devenir. Cette adoption à particularité psychosociale a toujours existé, mais elle passe actuellement au premier plan des préoccupations du service qui devra se mobiliser en 2009 à la hauteur des enjeux qui sont à l’oeuvre pour ces enfants.

Sandrine Dekens, Psychologue, coordinatrice d’Enfants en Recherche de Famille

Pour citer : Dekens S. (2009), "L’adoption concerne aussi des enfants au parcours psychosocial complexe", Grandes et petites histoires de l’adoption, Accueil n° 150, EFA, Paris : février-mars 2009

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[1] Pierre Delion (2008), Tout ne se joue pas avant trois ans, Paris : Albin Michel