Douch avait soif d’acceptation

Traduction inédite d’un article cambodgien suite à la déposition des experts psychologues

Publié le 4 septembre 2009 sur OSIBouaké.org

The Phnom Penh Post - Robbie Corey Boulet – 1er septembre 2009 – Traduit de l’anglais par Sandrine Dekens

L’expert psychologue déclare que le désir de louange conduisait le chef du S21

L’homme qui a dirigé Tuol Sleng est un perfectionniste largement insensible, qui a souvent affiché une « absence de culpabilité » face à la mort des quelques 16 000 prisonniers du centre de torture, ont déclaré lundi deux témoins cités comme experts devant le tribunal des Khmers rouges.

Cependant, Kaing Guek Eav alias Duch a récemment adopté une « vision plus personnelle » des années Khmers rouges, en les évoquant moins comme un observateur que comme un participant qui regrette ses actes, a dit Françoise Sironi-Guilbaud, une psychologue et conférencière qui a écrit sur les tortionnaires et leurs motivations.

Elle et son collègue, Kar Sunbaunat, directeur de programme Santé mentale du Ministère de la Santé, ont déclaré à la Cour qu’il y avait une chance pour que Duch puisse être réhabilité et réintégré dans la société.

Les deux experts ont interrogé Duch pendant près de 40 heures en février et mars 2008, puis à nouveau au cours de trois entretiens la semaine dernière. Ils ont déclaré lundi qu’ils parvenaient à la conclusion que Duch ne souffre d’aucun trouble mental. Ils ont plutôt rapporté que c’est son désir de louanges et d’appartenance qui avait nourri sa fixation sur le fait de bien agir et d’être agréable à ses supérieurs. « L’histoire de vie de Duch est donc déterminée par son besoin d’idéal », a déclaré Mme Sironi-Guilbaud, ajoutant plus tard que Duch a souvent été conduit par « une seule pensée à la fois ».

Sa nature objective et dépassionnée, est antérieure à son appartenance au Parti communiste du Kampuchéa (PCK), a-t-elle dit, notant qu’il avait été attiré par le stoïcisme en tant qu’étudiant, une doctrine qui « revendique l’indifférence face à tout ce qui peut avoir un effet sur les émotions ». Il a d’ailleurs mentionné que cela lui avait bien servi pendant son passage à Tuol Sleng. Mme Sironi-Guilbaud l’a cité, ayant déclaré au cours d’un entretien : « Je ne pouvais pas en même temps être un révolutionnaire et avoir des sentiments ».

Une série de déceptions

Les deux experts ont déclaré que la disposition d’esprit de Duch a été marquée par des déceptions romantiques, idéologiques et autres, qui l’ont poursuivi durant ses jeunes années. Duch a raconté au tribunal la semaine dernière, l’échec de sa tentative de convaincre la jeune fille qu’il aimait, de devenir comme lui professeur de mathématiques. Le lundi, Mme Sironi-Guilbaud a également mentionné l’arrestation de ses amis sous le régime de Lon Nol, ainsi que le vol de son vélo, ce qui l’a empêché d’aller à l’école.

« La déception est quelque chose qui est très présent dans la vie de Duch », a déclaré Mme Sironi-Guilbaud. Ses déboires l’ont « déshumanisé » et ont probablement contribué à faire de lui un homme capable de diriger Tuol Sleng. « Le bourreau a toujours été lui-même préalablement déshumanisé. Ceci, bien sûr, n’est pas une excuse » a-t-elle déclaré à la Cour. Un autre facteur qui a contribué à cette déshumanisation est qu’il a eu plusieurs noms au cours de son enfance, selon elle. Ce processus « équivaut à avoir plusieurs identités successives en parallèle » et « pourrait au niveau inconscient avoir été vécu comme une imposition d’identité par quelqu’un d’autre ».

Les deux experts ont dit que c’est la même quête d’appartenance à un groupe qui a poussé Duch à rejoindre le CPK et à se convertir au christianisme en 1996. Se référant à leurs entretiens, Mme Sironi-Guilbaud a souligné le fait que Dieu et Jésus représentaient les « nouveaux maîtres qu’il veut servir avec le même zèle que les anciens ». Duch a choisi la foi chrétienne en partie parce qu’elle est « la religion du plus fort » qui a « vaincu le communisme en Pologne et ailleurs ». « J’ai d’abord cru que le communisme pouvait sauver mon pays, mais maintenant je sais que c’est Dieu », a-t-elle cité. Mme Sironi-Guilbaud a déclaré que Douch avait « utilisé la religion comme une thérapie », ajoutant que le concept de « nouvelle naissance » associé au baptême chrétien, l’avait vraisemblablement fortement interpelé. « Nous avons beaucoup discuté de la question du pardon », dit-elle, ajoutant plus tard : « Peut-être que cela constitue un élément important pour son processus de pensée ».

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Photo Tracey Shelton
Toul Sleng, survivant de Chum Mey, 78 ans, lit un profil de l’ancien directeur de la prison S-21, Kaing Guek Eav alias Duch, lors d’une visite lundi au Musée du génocide de Tuol Sleng. Les parties civiles ont visité le musée après avoir annoncé qu’elles boycottaient le procès.

Co-procureur intérimaire

Lundi également, le tribunal a annoncé que le sous-procureur William Smith assumerait le rôle de la coopération internationale en qualité de procureur, cette décision prenant effet aujourd’hui. Il va remplacer temporairement Robert Petit, qui a annoncé sa démission en Juin. L’ONU   a transmis au gouvernement cambodgien deux nominés pour la coopération internationale. Le remplaçant de M. Petit devra être approuvé par le Conseil suprême de la magistrature.

Encadré : Les parties civiles boycottent le procès de Duch

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AFP
Les parties civiles du procès des Khmers Rouges pleurent au musée du génocide Tuol Sleng à Phnom Penh lundi.

Vingt-huit parties civiles ont annoncé lundi qu’elles cesseraient d’assister au procès du chef de la prison de Tuol Sleng, Kaing Guek Eav alias Duch, en réponse à l’annonce jeudi par la Chambre de première instance, que les avocats des parties civiles ne seraient pas autorisés à poser des questions pendant la phase de témoignage, au regard du caractère de l’accusé. Au cours d’une conférence de presse lundi matin, Chum Sirath, partie civile, a déclaré que le groupe ne participerait pas à la procédure jusqu’à ce que la Chambre de première instance a reconsidéré sa décision. Dès lundi, le groupe a visité Tuol Sleng et Choeung Ek Killing Fields, pour rendre hommage aux victimes. Survivant de Tuol Sleng et partie civile, Chum Mey a déclaré lors de la visite qu’il était en profond désaccord avec la décision de la Chambre de première instance. "Nous avions cru que la Cour nous ferait justice, mais il semble aujourd’hui que ce ne sera pas le cas », dit-il. Le porte-parole du tribunal Reach Sambath a déclaré que le tribunal avait "donné plus de droits aux parties civiles que toutes les autres juridictions du monde » et avait essayé de rendre le procès équitable. Les parties civiles ont déclaré lundi que le traitement par la Cour de l’accusé et les victimes était « déséquilibré ». (Cheang Sokha)

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