MALI : Des femmes séropositives apprennent à équilibrer leurs repas

Publié le 30 mai 2005 sur OSIBouaké.org

BAMAKO, 30 mai 2005 (PLUSNEWS) - Sous la chaleur accablante de midi, une cinquantaine de femmes se presse pour trouver une place assise sous le vaste abri en tôle. Devant les bassines en plastique et le tableau noir, l’animatrice patiente : c’est l’heure de la leçon de cuisine, comme tous les vendredis au Cesac.

Le centre intégré d’écoute, de soins, d’animation et de conseils, Cesac, est devenu une structure de référence au Mali, un pays sahélien qui démarre à peine dans la lutte contre le VIH  /SIDA   : sur les 4 000 personnes qui reçoivent des antirétroviraux (ARV  ), ces médicaments qui prolongent la vie des personnes vivant avec le virus, environ 3 000 sont soignées au Cesac.

Créé en septembre 1996, le centre, ses médecins et les assistances sociales qui animent le lieu ont eu le temps de se diversifier pour mieux répondre aux besoins de ceux qui vivent avec le VIH  /SIDA   : l’appui nutritionnel est un de ceux-là.

“L’activité culinaire” du vendredi s’organise en partenariat avec la principale association de femmes séropositives du Mali, l’Afas (pour Association féminine d’aide et de soutien aux veuves et orphelins du sida  ), qui compte plus de 360 membres et travaille en étroite collaboration avec le Cesac.

La leçon est donnée en bambara, la langue locale la plus parlée dans le pays. En trente minutes, l’animatrice tente de combattre ce qu’elle appelle “les tabous alimentaires” de la société malienne : la viande, les oeufs et certains fruits et légumes seraient mal perçus par certains patients, qui les exclueraient de leur alimentation parce que nuisibles à la santé des personnes infectées par le VIH  .

Habillée d’un élégant tailleur de tissu traditionnel, elle explique patiemment aux femmes ce qu’il convient de manger pour se maintenir “en forme”, appelant à l’introduction de légumes crus et de certains condiments, peu utilisés dans la cuisine traditionnelle.

“Nous donnons des recettes que les femmes peuvent faire à moindres coûts, des recettes bon marché, équilibrées et qui brisent les tabous alimentaires”, explique l’un des membres fondateurs du centre, le sociologue Amadjgé Togo.

Repas entre amies

A tour de rôle et dès neuf heures, une femme se met à la cuisine et prépare la recette du jour. Ce vendredi, Awa (un nom d’emprunt) est aux fournaux pour un “laro” maison, une recette malienne à base de viande de boeuf et de gombos, un légume tropical à haute teneur en vitamines.

C’est le Cesac qui achète les ingrédients, les femmes ne payent que 100 francs CFA (0,20 dollar) le repas, l’eau et les oranges du dessert, un coût inférieur à celui des repas que l’on trouve dans les petits kiosques qui pullulent le long des rues de cette capitale animée.

Selon le programme des Nations Unies pour le développement , le PNUD, le revenu annuel moyen par habitant est de 296 dollars au Mali, l’un des pays les plus pauvres du monde, et la crise économique qui touche l’Afrique de l’Ouest depuis le déclenchement en 2002 de la guerre en Côte d’Ivoire, le poumon économique de la région, a considérablement appauvri les populations.

A l’arrière de l’un des bâtiments du Cesac, une dizaine de femmes s’active autour des grosses marmites noircies par le feu. Couchées sur une natte, sous un manguier à l’ombre généreuse, des femmes leur tiennent compagnie. Ce sont des femmes sans emploi, abandonnées ou veuves, quelques fois sans domicile, qui viennent, certaines avec leur bébé, passer le temps à bavarder et à rire entre amies.

“Cette activité est surtout un moment privilégié pour les femmes, elles peuvent se rencontrer et se raconter leurs problèmes, leur vie”, explique Togo, le sociologue.

Et pour beaucoup, ce repas du vendredi est le principal repas de la semaine, qu’elles partagent avec tout le personnel du centre médical, patients et personnel soignant confondus.

Amina (un nom d’emprunt) se confie à voix basse. Cette jeune femme a moins de trente ans, mais ses quatre enfants sont déjà orphelins de père et elle n’a pas d’emploi depuis son retour, à pied, de Côte d’Ivoire où elle est née et où son mari est mort, au tout début de la guerre.

Avec un grand sourire, Amina explique ses difficultés à trouver un emploi, à vivre dans sa famille avec le sida  , elle qui est sous ARV   depuis son arrivée au Mali, il y a plus de trois ans. Elle raconte aussi à quel point il lui est difficile de se nourrir convenablement sans peser exagérément sur la vie de ses parents, très méfiants vis-à-vis du virus et de ses modes de transmission.

“Heureusement que je peux venir ici, que mes soeurs sont là pour me soutenir”, dit-elle. “Ici je peux manger à mon aise, avec ma main dans le plat commun, comme avant. C’est dur pour nous, on ne peut faire confiance à personne et peu de gens nous acceptent.”

Les denrées alimentaires, jusqu’aux céréales offertes par le PAM, sont transférées dans des sacs en plastique anonymes, les femmes ayant peur d’être montrées du doigt, ou jalousées par le voisinage.

Une assistance nutritionnelle bienvenue

En décembre 2004, le PAM a institutionnalisé l’appui qu’il apportait jusque-là de façon ponctuelle au Cesac, un engagement que le représentant au Mali de cette agence des Nations Unies, Pablo Recalde, souhaite renforcer.

“Sans une bonne nutrition, les effets de la prise en charge thérapeutique peuvent être mitigés ou nuls”, dit-il, ajoutant que le PAM est en train d’accroître le volume de son assistance nutritionnelle aux personnes vivant avec le VIH  .

Aucune étude scientifique sérieuse n’a pu démontrer à ce jour le lien entre nutrition et santé des personnes vivant avec le VIH  /SIDA  , selon le PAM, mais Recalde est déterminé à appuyer Arcad / Sida  , l’organisation non-gouvernementale malienne à l’origine de la mise en place du Cesac, dans la mise à jour du rôle de la nutrition dans la prise en charge des personnes infectées.

Selon Marianne Amehoum, responsable de l’activité santé et VIH   du PAM à Bamako, l’agence onusienne travaille en collaboration avec le Haut conseil de lutte contre le sida   (HCNLS), l’instance de décision et d’exécution de la politique nationale, pour définir la meilleure façon d’accompagner la prise en charge des patients.

Déjà 200 personnes sous traitement ARV   reçoivent des farines enrichies à Ségou, à 200 km au nord-est de Bamako, ainsi que les femmes enceintes inscrites auprès des 14 sites publics de lutte contre la transmission du virus de la mère à l’enfant (PTME  ) que compte le pays, un programme qui a commencé en avril et doit se poursuivre jusqu’en 2007.

Une enquête doit également démarrer pour évaluer les besoins de ces femmes, pour une meilleure prise en charge de leur santé, ajoute Amehoum. Selon la direction régionale de la santé à Bamako, 3,2 pour cent des femmes enceintes étaient séropositives au Mali en 2003, contre une moyenne de 1,7 pour cent pour l’ensemble de la population, selon le HCNLS.

Selon le projet initial, le PAM espère pouvoir soutenir près de 1 200 personnes séropositives en 2005 et quelque 5 800 personnes sur cinq ans. Mais ce chiffre pourrait évoluer, avait précisé Recalde à PlusNews en avril, car les demandes d’assistance sont de plus en plus nombreuses dans un pays où 500 000 personnes pourraient être infectées par le virus en 2010, selon le HCNLS.

Au Cesac, les sacs de mais, de mil ou de sorgho estampillés ‘PAM’ s’empilent sous l’auvent qui donne sur le bureau d’Amadjgé Togo. Des hommes, des femmes et même de jeunes adolescents attendent que la liste des bénéficiaires parvienne au sociologue pour emporter leurs rations chez eux.

Dépourvue de dents et la peau abîmée par les infections, Fatimata survit en vendant des mangues au marché, comme beaucoup de ses ‘soeurs’. L’argent qu’elle gagne est loin de suffire aux besoins de la famille et c’est avec appétit qu’elle a participé à l’activité cuisine.

Elle aussi patiente le long des sacs, sous le soleil brûlant et la main sur les yeux. Aussitôt, elle transfère les grains dans un grand sac plastique bleu. Et s’excuse : “C’est pour que ma fille ne me pose pas trop de questions.”

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