Les peaux cassées des crèmes éclaircissantes

Ces produits toxiques utilisés par les Noirs poussent les pouvoirs publics à intervenir.

Publié le 27 novembre 2008 sur OSIBouaké.org

Libération, 26/11/08, Didier Arnaud

Le blanchiment est dans le collimateur. Tout le monde a entendu parler des crèmes éclaircissantes, dangereuses pour la santé de ceux qui les appliquent sur leur visage. Mais depuis quelques semaines, le parquet de Paris s’est mis en chasse, délivrant des réquisitions pour réaliser des contrôles, qui se veulent dissuasifs dans les magasins qui les vendent. Et lundi, au conseil de Paris, Ian Brossat, élu du XVIIIe arrondissement, président du groupe communiste au conseil de Paris, a réclamé une campagne d’information et de prévention sur le sujet, un vœu adopté à l’unanimité.

Hier, au tribunal correctionnel, un commerce qui vend illégalement des crèmes était poursuivi. Une procédure visant une autre boutique qui a vendu des corticoïdes est en cours. Et jeudi, au tribunal de grande instance de Paris, les gérants de Mina Coiffure, petit commerce de la rue Poulet, dans le XVIIIe arrondissement, étaient jugés pour « tromperie sur la marchandise », « exercice illégal de la pharmacie »,« détention de marchandises prohibées ». Ils ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende. « Ce procès arrive au bon moment, explique Khadi Sy Bizet, médecin noire. Il va forcément créer une prise de conscience chez les vendeurs condamnés. Ça ne changera pas le fantasme dans les têtes, mais ça peut changer des habitudes. »

Benzène. Dans l’arrière-boutique de Mina Coiffure, 991 produits cosmétiques, savons, huiles et crèmes ont été saisis par les policiers. Il s’agit de substances toxiques interdites en cosmétique contenant de l’hydroquinone (un dérivé du benzène, classé dans les substances vénéneuses) et des corticoïdes. Ces produits dégagent une « odeur forte et très âcre », a expliqué le substitut à l’audience. L’utilisation de l’hydroquinone peut entraîner eczémas et irritations irréversibles. Quant aux corticoïdes, ils peuvent être responsables de diabètes, problèmes ophtalmologiques, hypertension.

Le couple d’origine pakistanaise, qui gagne de l’argent avec ces produits depuis 2000, ne paie pas de mine. Lui, Bashir, ne sait pas lire le français, le parle à peine. Elle, Eram, a reconnu du bout des lèvres la dangerosité des produits. Elle a déjà vu des clientes avec des « marques brunâtres » sur le visage. Lors des auditions, elle a expliqué que « beaucoup de femmes se trompent sur la localisation des produits. Au lieu de les mettre sur les mains, ils les mettent sur le visage ». Mais elle ignore qu’ils sont interdits en France et en Europe. Elle a expliqué les avoir achetés à « une femme africaine qui venait de Belgique et portait deux valises ». Ces crèmes représentent 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. L’avocat du couple, Jacques Cartelier, insiste : « Si vous ne vendez pas ces produits, les gens vont dans la boutique d’à côté. Le commerce ne peut perdurer. » Même si ses clients ne voulaient pas « tromper » la clientèle.

Addiction. A l’hôpital Saint-Louis (Xe arrondissement), le docteur Antoine Petit tente de soigner les utilisateurs de crème ainsi « trompés ». Depuis quatre ans, il tient une consultation de dermatologie. Il reçoit des gens qui viennent pour des lésions cutanées : tâches, boutons, infections et parfois brûlures. « L’idée qu’il y a un danger existe pour la plupart des gens, dit-il. Cela ne les empêche pas de continuer. » Le médecin voit dans ce recours aux crèmes un phénomène proche de l’addiction. Pour lui, les utilisatrices se sentent prises au piège d’une pratique. Et le docteur Petit rappelle que les produits les plus dangereux sont ceux qui éclaircissent le mieux : les corticoïdes.

Depuis des années, ses collègues africains tirent la sonnette d’alarme, mais le problème embarrasse les médecins en France. « Ce n’est pas facile d’insister sur une question qui pourrait stigmatiser une population, donner à croire qu’on condamne ceux qui la pratiquent. »

Michèle, 48 ans, assistante de vie, a utilisé ces crèmes il y a deux ans. Elle les a achetées à une femme qui les a sorties de grands sacs, dans les quartiers parisiens de Château-d’Eau et Château-Rouge. Elle se dit un peu « innocente » de n’avoir pas pris le temps de lire les notices. Son désir, c’était d’avoir « un teint unifié, lumineux ». Aujourd’hui, elle a la peau « gâtée, des petits points blancs sur les pieds ». Elle est allée voir une pharmacienne qui lui a donné des gélules pour se soigner. « Ce sont des crèmes qui tuent à petit feu, on ne le sait pas et on les utilise bêtement. » Michèle voit beaucoup de femmes qui les utilisent autour d’elles. Certaines, assurent-elles, ajoutent même de l’eau de javel dans les produits. Mais beaucoup de ses amies le soutiennent, « quand on est plus claires, on est plus belles ».

Sur ce sujet, lire aussi : « Une stratégie de réussite sociale », par Pap Ndiaye

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