OSI Bouaké - La peur des femmes, selon Carla… Accueil >>  VIH/Sida

La peur des femmes, selon Carla…



par Anne Fouchard, le 26 mars 2009

C’est de notoriété publique : les femmes africaines vivant avec le VIH  -SIDA  , n’ont vraiment pas de chance. Les femmes d’Afrique subsaharienne sont la preuve (vivante ou en sursis) que l’expression chère à nos politiques « le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt » est une formidable escroquerie. Le sort de ces femmes ne fait pas rêver…

Mais l’espoir que les choses changent enfin pour ces oubliées de la miséricorde pointe le bout de son nez. Carla Bruni Sarkozy a été nommée Ambassadrice du Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme. Suivant la loi de reconversion des Top models, et dans la plus pure tradition du rôle de Première Dame, Carla a sa cause maintenant et elle peut prêter un peu de sa lumière à cette institution dédiée vénérable.

Malgré le respect que j’ai pour le Fonds mondial, je suis restée interloquée sur mon confortable canapé en regardant la conférence de presse d’intronisation de la nouvelle Ambassadrice au journal télévisé. Non à cause des petits coucous sucrés que la belle envoyait à son mari qui se tenait dans la pièce à côté, pendant que le professeur Kazatchkine parlait : la légèreté a son charme…

Mais à cause d’une petite phrase anodine qu’elle prononça et que personne n’a relevée. Carla a choisi la cause du sida  , en particulier parce que « les femmes et les enfants sont les plus vulnérables » et « ces femmes ont encore trop souvent peur de se faire soigner. » Que les femmes et les enfants soient les plus vulnérables est incontestable : moins de 4% des 1,5 million d’enfants exposés au VIH   pendant la grossesse ou l’accouchement avaient reçu une prophylaxie au cotrimoxazole (un traitement qui coûte quelques centimes) avant l’âge de deux mois . La moitié des enfants nés avec le sida   n’atteindra pas sa deuxième année. Une nouvelle catégorie d’enfants est née « les enfants orphelins ou vulnérables à cause du sida   », c’est dire si la situation est grave.

Mais affirmer que les femmes ont peur de se faire soigner, d’aller à l’hôpital, est indigne d’une personne qui entend représenter cette cause.

Les femmes d’Afrique subsaharienne sont plus touchées que les hommes par l’infection et moins soignées. Si la prévalence (c’est-à-dire le pourcentage de cas dans la population globale) du VIH   chez les femmes enceintes tend à diminuer au global, les femmes sont fortement touchées par la maladie. Parmi les jeunes Africains, la prévalence du VIH   est nettement plus élevée chez les femmes que chez les hommes . Le taux d’infection est supérieur chez les femmes dans un certain nombre de ces pays. L’accès aux soins des femmes d’Afrique subsaharienne, pour elles-mêmes comme pour leurs enfants, est indécent au vu des besoins.

Mais, dans l’imaginaire de Carla, si les femmes ne se soignent pas, ce n’est pas parce qu’elles n’en ont pas les moyens, ou que, même si le médicament est gratuit, le seul coût de transport à l’hôpital équivaut à celui d’une passe. Ni parce que, quand elles sont enceintes, on leur donne un traitement incomplet qui ne protège que partiellement leur enfant sans les protéger, elles. Ni parce que l’hôpital est tellement loin et bondé qu’elles ne peuvent ni y aller, ni y être acceptées. Non : c’est parce que « elles ont peur ».

Contre le sida  , Carla veut faire reculer l’obscurantisme dans lequel baignent toutes ces pauvres femmes. Mais elle se trompe de bataille : ce n’est pas l’obscurantisme supposé des Africaines qu’il faut combattre mais celui qui habite nos lumineuses figures…

Car ce dont ont besoin ces femmes, c’est d’aide, pas de leçons. Selon l’OMS   (Organisation mondiale de la Santé), 70% à 90% des soins aux malades dans le monde sont dispensés à la maison par des femmes de la famille principalement. Les études menées par l’Unicef ont montré que les femmes se retrouvent seules à la tête de ménages plus pauvres, qui accueillent des enfants orphelins en plus des leurs. Et la dernière étude du JLICA (initiative conjointe de recherche sur les enfants et le VIH  /sida  ) révèle que les familles et communautés les plus pauvres supportent environ 90% du coût financier pour les enfants orphelins ou touchés par le sida  , sans aide d’institutions quelles qu’elles soient.

Les femmes font des dizaines de kilomètres à pied pour faire soigner leurs enfants malades mais elles savent qu’à l’arrivée, elles auront de la chance si les médicaments et les médecins sont là. Les programmes nutritionnels menés par MSF   (Médecins Sans Frontières) au Niger, qui donnaient à la mère le médic-aliment (les nouveaux RUTF, aliments thérapeutiques aux effets miraculeux mais que l’on tarde à généraliser parce qu’ils sont coûteux) dont son enfant avait besoin pour retrouver la santé ont démontré par les taux de guérison en ambulatoire que les femmes n’avaient pas peur de la nouveauté en matière de médecine et de soins à leur enfant.

Dans les townships les plus démunis d’Afrique du Sud, des grands-mères se sont constituées en groupes de parole pour s’entraider à gérer l’adolescence de leurs petits enfants orphelins. Les femmes ne manquent pas d’idées ou de curiosité. Elles investissent dans la santé et dans l’éducation des enfants. Orpheline de père, Kerrel, une Jamaïquaine de 21 ans arpente les boites chaudes de Kingston pour parler du sida   et de la prévention… Toutes ces femmes méritent mieux que ces mots méprisants.

« Les femmes ont peur de se faire soigner », dit Carla, et personne ne relève : les femmes africaines sont trop déprimantes pour être un sujet de débat. Non, Carla, les femmes ont d’excellentes raisons d’avoir peur de nombreuses choses, de ne plus pouvoir cultiver le champ à cause de la maladie, de ne plus pouvoir remplir les assiettes, de mourir en laissant des enfants sans mère ni avenir. Mais elles n’ont pas peur de se faire soigner. Espérons que le contact avec ces femmes, entre deux avions, aidera Carla à sortir de l’obscurantisme qui règne dans les très glamour salons parisiens…


VOIR EN LIGNE : Le monde est fou
Publié sur OSI Bouaké le dimanche 29 mars 2009

LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE