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Les limites du verdict contre Thomas Lubanga



Colette Braeckman - 16 Mars 2012 - Le verdict est historique et il fera date autant dans les capitales où se décident les guerres que dans les villes ou les brousses où se commettent les crimes : le Congolais Thomas Lubanga, 51 ans, a été « sans aucun doute possible » reconnu coupable de crimes de guerre durant la période 2002-2003. La Cour pénale internationale, siégeant à La Haye, a conclu à l’unanimité que cet ancien chef de guerre de l’Ituri était coupable des crimes de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de quinze ans, qu’il a fait participer à un conflit armé. Le juge britannique Adrian Fulford a précisé qu’une peine serait prononcée ultérieurement. La défense dispose d’un délai de trente jours pour faire appel au jugement qui commencera à courir lorsque l’intéressé aura pris connaissance de la traduction en français de sa condamnation.

C’est dix ans après sa création par le statut de Rome entré en vigueur en 2002 que la Cour pénale internationale a rendu son premier jugement. A l’unanimité, les ONG de défense des droits de l’homme, telles que Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l’homme, qui avaient milité en faveur de la CPI  , ont qualifié d’ « historique » ce premier jugement, estimant qu’il s’agissait d’un signal fort, indiquant que l’impunité n’existait pas et espérant que ce verdict aurait un effet dissuasif, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation d’enfants soldats.

Cependant, même s’il s’agît d’un pas en avant dans la lutte contre l’impunité, ce jugement laisse ouvertes bien des questions. En effet, le verdict a critiqué la manière dont les enquêteurs ont récolté des preuves, bien des témoins redoutant les représailles, ayant refusé de témoigner.

En outre, comment ne pas se rappeler le fait que, dans cette guerre qui, en Ituri seulement à fait plus de 60.000 morts, Thomas Lubanga n’était qu’un chef rebelle parmi d’autres. Que sont devenus les autres chefs de milice ? Ministres ou chefs de partis politiques ? Hommes d’affaires ayant pignon sur rue ? Officiers des Forces armées congolaises ?

Dans plusieurs cas, la « realpolitik », qui a permis de se défaire d’un Lubanga devenu politiquement insignifiant, a joué en faveur d’autres chefs de guerre dont les pouvoirs en place dans la région (Kinshasa, Kigali, Kampala) ont estimé qu’ils pouvaient encore jouer un rôle ou qu’ils jouissaient encore d’un pouvoir de nuisance dissuasif. Tel est le cas de Laurent Nkunda, le chef tutsi du Nord Kivu qui menaça de s’emparer de Goma en 2009 : sacrifié au profit du rapprochement entre Kabila et Kagame, il fut mis en détention par le Rwanda et retiré des opérations, sans que Kinshasa obtienne son extradition ou sa mise en jugement.

A l’époque, celui qui, suivant les directives de Kigali, contribua à neutraliser Laurent Nkunda était précisément l’ancien adjoint direct de Thomas Lubanga dans l’Ituri : Bosco Ntaganda. Ce dernier est aujourd’hui général dans les forces armées congolaises et depuis Goma, c’est lui qui a le commandement effectif de l’opération « Amani Kamilifu » (la paix durable) qui vise à démanteler les dernières bases de rebelles hutus enkystées dans les forêts du Nord et du Sud Kivu. Ses hommes, qui ont combattu avec Lubanga ou avec Nkunda, contrôlent militairement tout l’Est du Congo, de l’Ituri jusqu’au Nord Katanga. Le président Kabila, refusant d’exécuter le mandat d’arrêt émis par la CPI   à l’égard de Bosco Ntaganda, a déclaré à plusieurs reprises que « la paix était plus importante que la justice ». Les populations de l’Est du Congo, quant à elles, estiment qu’elles n’ont encore ni l’une ni l’autre tandis que la CPI   mesure cruellement à quel point l’exigence de justice peut encore se heurter à la raison d’Etat.


Publié sur OSI Bouaké le vendredi 16 mars 2012

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