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France : Les orphelins sont en marge de l’adoption nationale

Un article dans le n°9 de la revue O’Coeur de l’OCIRP


OCIRP, Revue O’Coeur [1], n°9, décembre 2013, pages 12-13 -

Entre absence de statut juridique spécifique, délaissement institutionnel et complexité des situations familiales et individuelles, l’enfant orphelin en France voit ses chances d’être adopté significativement compromises. Pour quelles raisons ? Et comment changer la donne ? O’Coeur fait le point sur le sujet...

QUELQUES RAPPELS

Selon les standards internationaux, les « orphelins doubles » sont les enfants de moins de 18 ans qui ont perdu leur mère et leur père. Les « orphelins simples » ont perdu un de leurs parents. On retrouve également la terminologie « orphelin complet » et « orphelin partiel ». Lorsqu’un enfant perd un de ses parents, les deux, ou lorsque le parent survivant se trouve privé de l’exercice de l’autorité parentale, l’ouverture d’une tutelle a lieu. Sa nature diffère selon la situation administrative et juridique de l’enfant, et selon la personne désignée pour l’exercer : membre de l’entourage de l’enfant ou représentant de l’État dans le département. Le plus souvent, les orphelins simples vivent avec leur parent vivant. Les orphelins doubles vivent quant à eux en grande majorité dans leur famille « élargie » - membres ou proches de la famille - sous le régime de la « tutelle de droit commun » ou bénéficient du statut de pupille de l’État. Dans les deux cas, l’orphelin est juridiquement adoptable.

UN CONSTAT SANS APPEL

En principe, tous les enfants admis comme pupilles de l’État sont susceptibles de bénéficier d’un projet d’adoption. Dans la réalité des faits, on constate que peu d’entre eux sont effectivement adoptés. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. L’âge de l’enfant est tout d’abord fortement déterminant. Dans le cadre de l’adoption nationale, la majorité des enfants adoptés sont de jeunes ou très jeunes enfants, souvent nés sous le secret, rarement orphelins. Le nombre de projets parentaux décroît significativement pour les enfants ayant dépassé l’âge de 6 ans, une réduction qui s’accélère au-delà de 8 ans. Le projet d’adoption devient très rare pour les enfants de plus de 10 ans et quasi inexistant en France au-delà de 12 ans avec comme perspective l’adolescence, phase instable et délicate par définition. Hors les enfants orphelins sont âgés au moment où ils deviennent pupilles. Ils le sont d’autant plus s’ils ont été pris en charge par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE  ) avant le décès de leur parent. Ainsi, pour la plupart des orphelins, la sortie de ce statut interviendra de fait à leur majorité, et non grâce à leur adoption.

Accueillis au sein de familles d’accueil ou de structures de l’ASE  , ils ont naturellement forgé des liens affectifs avec leur famille de substitution, et peut-être même continué d’entretenir des liens avec des frères et sœurs biologiques, des membres de la famille élargie… Ces liens essentiels à leur équilibre peut constituer un frein psychologique pour les familles adoptantes qui désirent le plus souvent un enfant sans autre attache affective, sans filiation, sans passé pour ainsi dire. Toutefois, une amélioration de l’accompagnement des postulants à l’adoption devrait permettre l’émergence de projets parentaux orientés vers les orphelins en France.

Autre facteur discriminant en vue d’une adoption : les aspects psychologiques chez l’enfant. Les orphelins ont généralement un parcours psychoaffectif empreint du deuil mais aussi de carences et de souffrances génératrices d’anxiété, d’hyperactivité, d’insécurité, de surinvestissement affectif… Des profils qui suscitent généralement des réticences auprès des parents qui désirent adopter. La mission des professionnels chargés d’évaluer l’adoptabilité psychosociale de l’enfant est d’établir en quoi l’adoption, et donc la création d’un nouveau lien de filiation, est une réponse appropriée aux besoins de l’enfant. Dans la pratique, les conseils de famille et les professionnels de l’aide à l’enfance sont peu enclins à former des projets d’adoption pour ces enfants ayant été frappés par le deuil de l’un ou de leurs deux parents.

FACILITER L’ADOPTION NATIONALE

De nouvelles réponses doivent aujourd’hui être définies par la société civile et par l’État pour aboutir à un statut définit de l’orphelin, et encourager les projets parentaux. Dans le cadre de l’enfant orphelin, l’adoption simple semble la plus pertinente puisqu’elle permet d’ajouter une nouvelle filiation à l’enfant sans effacer la précédente de son état civile (contrairement à l’adoption plénière). Une démarche qui présente l’avantage de concilier la réalité juridique et la réalité psychique de l’enfant, dans le respect de son vécu. Si la loi offre des possibilités d’action dans l’intérêt de l’enfant orphelin, elle reste rarement appliquée, notamment dans les cas les plus complexes. L’adoption nationale est négligée par les pouvoirs publics, aussi bien en termes de coordination nationale que de financement. Sandrine Dekens [2], dont les travaux ont contribué à la réalisation de cet article, unie à d’autres professionnels de l’aide sociale à l’enfance et du milieu associatif, signe aujourd’hui un plaidoyer en faveur de l’adoption nationale et de son développement. Nous avons souhaité vous en détailler ici les 10 propositions pour faire évoluer dans notre pays la condition des orphelins face à l’adoption et favoriser enfin de vrais projets de vie adaptés à leurs besoins.

LE PLAIDOYER POUR L’ADOPTION NATIONALE

10 propositions pour une mobilisation en faveur des enfants délaissés

Axe 1 : Développer l’adoption des pupilles de l’État

  • Proposition 1 : Créer une cellule nationale d’appui aux pupilles de l’État (CAPE)
  • Proposition 2 : Adapter les exigences de l’agrément à la réalité de l’adoption
  • Proposition 3 : Soutenir les actions visant à mutualiser les moyens à l’échelle régionale

Axe 2 : Valoriser le statut de pupille de l’État et développer la notion de projet de vie

  • Proposition 4 : Élargir le recours à des liens pérennes et complétifs, plutôt qu’exclusifs
  • Proposition 5 : Généraliser les bilans d’adoptabilité médico-psycho-sociale
  • Proposition 6 : Communiquer sur les enjeux du statut de pupille de l’État

Axe 3 : Favoriser l’évaluation des situations de délaissement

  • Proposition 7 : Généraliser les comités de réflexion sur les statuts et les cellules de veille
  • Proposition 8 : Proposer des formations aux professionnels du social et de l’éducatif de la protection de l’enfance
  • Proposition 9 : Élaborer et mettre à disposition des conseils généraux des référentiels et des grilles d’évaluation
  • Proposition 10 : Faire appliquer de façon plus rigoureuse les articles 350 et 378 du Code civil

Sylvie Blaison // Chris Benoît à la Guillaume // Marie-Laure Bouet-Simon // Sandrine Dekens // Catherine Lohéac // Annie Roussé

>>> Retrouvez ici la version intégrale du plaidoyer, avec ses annexes, les situations d’enfants et la bibliographie.

.: Revue O’Coeur n°9 :.

Décembre 2013


[1] téléchargez la revue complète en bas de cette page

[2] Sandrine Dekens est psychologue clinicienne, psychothérapeute, expert près de la Cour pénale internationale de La Haye. Spécialiste de la prise en charge globale des orphelins et enfants rendus vulnérables par le VIH/Sida en France puis en Afrique francophone, elle est entrée dans le champ de l’adoption à travers une recherche sur la psychopathologie des enfants adoptés à l’étranger. À ce jour, elle coordonne Enfants en recherche de famille (ERF), dispositif associatif national facilitant l’adoption d’enfants pupilles porteurs de particularités.


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 5 janvier 2014

 

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