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L’héritage de veuve ou lévirat : la pratique a toujours la peau dure en milieu rural


Théodore Kouadio - Framat.info - Jeudi 01 Mars 2012 - Prendre pour nouvelle épouse la femme d’un frère défunt afin d’assurer la continuité du lignage. Cette pratique appelée aussi lévirat, bien qu’en forte régression dans les villes, a toujours la peau dure en milieu rural en Côte d’Ivoire. Pire, elle a aussi contribué à la propagation du Vih  /Sida   en milieu rural dans les zones où cette pratique se déroule toujours. Yao Aya, la quarantaine révolue, vivait dans un des nombreux campements de la localité de Sassandra avec son mari et leurs quatre enfants. Le couple exploitait une plantation de cacao qu’il a crée pendant les années 1990. Suite à une courte maladie, son mari décède. Le corps de Kouamé Yao est transféré à Kongossou, son village natal dans la sous-préfecture de Dimbokro pour l’enterrement. Après les funérailles, la famille se réunit comme il est de coutume pour désigner la personne qui aura à gérer les biens du défunt et ses enfants dont l’aîné a 12 ans et est en classe de 6ème au lycée moderne de Dimbokro.

C’est le jeune frère du défunt, Kouamé Kouakou, qui est désigné par le conseil de famille pour veiller sur les biens de son aîné avec qui, il vivait à Sassandra. Le jeune homme venait juste de boucler ses 30 ans le mois de mars 2010. En plus des charges à lui confiées, il accepte de prendre comme épouse la femme de son grand frère… qui pourtant l’a vu grandir. « J’ai accepté ce mariage traditionnel afin de pouvoir rester auprès de mes enfants afin qu’ils puissent aussi véritablement tirer profit des biens de leur père », indique Yao Aya. Deux ans plus tard, le cercle familial s’agrandit avec la naissance d’un nouveau bébé.

Koffi Amoin, elle avait 26 ans quand son mari est décédé en février 2010. Elle a refusé de prendre en secondes noces, le neveu de son mari qui lui a été proposé. Elle a payé très cher ce refus que sa belle famille a considéré comme un affront ainsi que sa propre famille. « Dans cette bataille, je n’ai même pas reçu le soutien de ma propre famille. J’ai été abandonnée par tous », explique la veuve.

En effet, Koffi Amoin, n’a bénéficié d’aucuns biens de son mari. Et pourtant, elle a aidé ce dernier à réaliser une plantation d’hévéa dans la région de Daoukro, qui justement est rentrée en production depuis deux ans avant la mort de son époux.

Pis, elle a été priée de quitter la cour familiale. Ses enfants, eux, ont été remis aux différents membres de la famille de son défunt mari. Même le dernier d’un an qui n’a pas encore été totalement sevré du lait maternel. « Quand j’ai voulu rejoindre mes parents. Notre chef de famille m’a fait comprendre très clairement que je n’étais plus la bienvenue », explique-t-elle en larmes.

Sandaogo Yamdolé, 45 ans, elle est originaire du Burkina Faso, précisément de Koupéla dans la province du Kuritentaga. À la mort de son mari, selon la tradition, elle devrait prendre pour époux l’un des premiers fils de son mari qui avait 10 ans de moins qu’elle.

Celle-ci refuse catégoriquement ce mariage qu’elle a jugé contre nature. Alors que ses coépouses ont accepté les leurs. En tout cas, la communauté villageoise n’a pas accepté la réponse de la femme face à cette situation jugée inacceptable. Sandaogo Yamdolé sera sévèrement battue par ses propres parents avant de lui demander de revenir sur sa décision. La dame maintient sa position. Elle est alors une fois de plus agressée physiquement et excommunier du village.

Elle quitte alors son village natal pour la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou pour trouver refuge chez l’un de ses cousins qui enseigne dans un établissement secondaire de Ouagadougou. Celui-ci lui fait savoir qu’il a la même position que la communauté villageoise. Et qu’il ne peut la garder pour ne pas essuyer la foudre de celle-ci.

Il lui donne un peu d’argent pour qu’elle rejoigne l’un de ses frères, planteur de cacao à Tiassalé (Sud forestier de la Côte d’Ivoire). Ainsi depuis quelques années, elle vit chez son jeune frère sans soucis. Sauf qu’une fois en Côte d’Ivoire, constamment malade, elle se rend à l’hôpital. C’est là qu’elle est déclarée séropositive au virus du Vih  /Sida  .

« C’est en ce moment que j’ai compris de quoi notre mari était décédé. Si j’avais accepté d’épouser le fils de mon défunt mari, je l’aurai contaminé ainsi que ses femmes. Il en avait déjà 2 », revèle-t-elle. Avant de souligner qu’elle est sous traitement antirétroviral et attend aujourd’hui un enfant de son nouveau mari, quelqu’un de son choix.

Comment comprendre cette pratique “ dite rétrograde ” consistant à marier une veuve avec un frère ou fils de son défunt mari afin d’assurer la continuité du lignage ?

Il faut se tourner du côté des sociologues pour avoir un début de compréhension. Selon les sociologues, cette pratique, souvent forcée et combinée avec la polygamie, est encore pratiquée dans certains pays africains. Le Bénin l’a interdite en même temps que la polygamie le 17 juin 2004. Elle est encore pratiquée dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest dont le Burkina Faso et le Togo. Elle existe également dans certaines communautés du Tchad.

Ce type de remariage est dénoncé comme étant une pratique rétrograde limitant les droits des femmes. Cette politique maintient l’idée qu’ « une veuve fasse partie de l’héritage ».

Certains auteurs font remarquer que la pratique du lévirat est la seule mesure de protection sociale dont bénéficient les veuves dans ces pays. C’est pourquoi, pour eux, il n’est pas forcément bienvenu de lutter contre cette pratique sans en remplacer l’aspect social et humanitaire.

Selon la sociologue burkinabé, chargée de recherche au Cnrst/Inss, Dr. Kaboré Madeleine, les modes de transmission de l’héritage dans les sociétés qui pratiquent le lévirat peut inclure l’aspect humain en ce sens que les veuves font partie de l’héritage.

Ainsi, le mariage selon la logique coutumière est une affaire lignagère. En effet, cette institution est l’alliance sacrée entre deux familles de lignages différents par l’intermédiaire d’un homme et d’une femme mus par des droits et des devoirs réciproques. « Ce procédé engageant deux groupes sociaux implique tous les membres de la communauté qui dans les normes, assurent une responsabilité collective », explique la sociologue.

Ainsi, cette stratégie d’extension du groupe familial par les divers mariages ou remariages confiés au plus ‘’vieux ” de la communauté villageoise, oblige les bénéficiaires à respecter sans conditions les exigences des coutumes en matière d’alliance.

Conséquences du refus du lévirat

Selon la coutume, la maladie qui a tué le mari est sans importance. Ce qui importe, en revanche, c’est que l’épouse soit ‘’nettoyée’’ (par le remariage) et qu’elle puisse ainsi se mélanger librement au reste de la communauté.

Conséquences, des femmes dont les maris sont décédés de maladies infectieuses graves telles que le Vih  /Sida  , vont se remarier avec d’autres personnes de la même famille. Ce qui va contribuer à prolonger la chaîne de contamination de la maladie.

« Lors d’une consultation prénatale de mon dernier fils qui, aujourd’hui, a 6 ans, j’ai découvert que j’étais séropositive. Je n’ai pas informé mon mari qui est décédé juste après la naissance de notre fils. Ainsi me sachant séropositive, j’ai refusé le frère de mon mari à qui on a voulu me donner en remariage », commente Goueu Delphine, une jeune femme originaire de Danané dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.

Même certaines veuves qui sont dans un état de santé normal et qui refusent le lévirat doivent recourir à la prostitution pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

C’est le cas d’Augustine G., une femme nigériane de 40 ans, de l’ethnie Igbo du Nigeria. Elle exerce le plus vieux métier du monde à Abidjan-Adjamé. Lieu où, elle y est installée, il y a une dizaine d’années. « Mon mari était un riche homme d’affaires à Lagos au Nigeria. Il était tout pour moi. Je n’avais rien appris comme métier et je ne suis non plus allée à l’école. À sa mort, il m’a été demandé de prendre son cousin en remariage. Après mon refus, je me suis retrouvée à la rue avec mes quatre enfants », explique Augustine G.

Aujourd’hui, c’est la prostitution qui lui permet de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants qui sont restés au pays avec sa mère, une sexagénaire.

Augustine G. affirme qu’elle a quitté son pays parce qu’elle ne se sentait plus en sécurité. Elle faisait l’objet de menaces de la part de certains membres de la famille de son défunt mari. On lui reprochait le fait d’avoir porté plainte à la justice pour espérer bénéficier des biens de son mari qui lui revenaient de droit ainsi qu’à ses enfants.

« Quand vous allez en justice, la police, la magistrature et la famille du défunt et quelques fois des membres de votre propre famille sont contre vous. De sorte que vous devez rentrer chez vous, dans le même environnement. Il faut des années et beaucoup d’argent pour faire entendre sa cause devant les tribunaux », soutient Augustine G.

Et pourtant, nombre de pays africains — où se pratiquent encore le lévirat — ont signé de nombreux traités internationaux protégeant les droits des femmes et des mineurs, y compris plusieurs conventions et pactes des Nations Unies : (Convention relative aux droits de l’enfant, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw), Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale) ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Center for reproductive rights 2003, 78 ; Omct et Cleen juin 2004, 4).

En fait, comme la pratique est en nette régression, les organisations nationales féminines de lutte pour les droits de la femme n’accordent pas une très grande priorité à la lutte contre la pratique du lévirat.

Théodore Kouadio

koudore@fratmat.info


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 2 mars 2012

 

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