près trois jours d’intenses négociations, les protagonistes de la crise
ivoirienne ont signé, mercredi 6 avril dans la matinée, à Pretoria, un
"communiqué de fin de guerre". Ce texte en dix-huit points, remis aux cinq
délégations dans la nuit par le médiateur, le président sud-africain Thabo
Mbeki, et dont Le Monde a pris connaissance, annonce "la cessation des
hostilités", la reprise du processus de désarmement, mais reste
volontairement vague sur l’organisation de l’élection présidentielle prévue
en octobre.
Dans ce communiqué, les signataires, le président Laurent Gbagbo, le chef de
la rébellion Guillaume Soro, l’ancien premier ministre Alassane Ouattara,
l’ancien président Henri Konan Bédié et le premier ministre de transition
Seydou Diarra "déclarent la cessation immédiate et définitive des hostilités
et la fin de la guerre sur toute l’étendue du territoire". Ils renoncent à
l’emploi de la force "sous toutes ses formes". La Côte d’Ivoire est coupée
en deux depuis le 19 septembre 2002, le nord du pays étant aux mains des
rebelles des Forces nouvelles.
Le processus de paix achoppait notamment sur les conditions d’éligibilité.
L’article 35 de la Constitution, qui avait abouti lors de la précédente
présidentielle d’octobre 2000 à l’élimination des candidatures de M.
Ouattara et M. Bédié, a été modifié par l’Assemblée nationale il y a deux
mois, mais sa promulgation posait problème. Le président Gbagbo souhaitait
recourir à un référendum et demandait pour préalable le désarmement des
rebelles, alors que les Forces nouvelles demandaient à ce que le chef de
l’Etat recoure à ses pouvoirs spéciaux pour le promulguer.
Le texte de Pretoria ne tranche pas cette question. Le médiateur annonce
qu’il se prononcera après consultation du président de l’Union africaine
(UA), Olusegun Obasanjo, et du secrétaire général des Nations unies, Kofi
Annan. Il informera ensuite les leaders ivoiriens. Des sources diplomatiques
indiquent que les signataires se sont engagés devant le président Mbeki à ce
que tous puissent être candidats.
Le processus de désarmement devrait reprendre dès le 14 avril avec une
rencontre à Yamoussoukro entre le chef d’état-major des forces armées
ivoiriennes et celui des Forces nouvelles, destinée à refonder une armée
nationale. Les "milices" seront également démantelées. Le texte ne précise
pas quelles sont ces milices. Il pourrait notamment s’agir des "patriotes"
pro-gouvernementaux, accusés par l’opposition d’être responsables
d’exactions à Abidjan.
RÉUNIONS À HUIS CLOS
Le médiateur a proposé aux forces politiques et à la rébellion un "plan de
sécurité" afin que tous puissent revenir dans la capitale ivoirienne. M.
Bédié et M. Ouattara vivent en France et refusent de retourner en Côte
d’Ivoire, affirmant que leur sécurité n’est pas assurée. Pour les mêmes
raisons, les ministres du gouvernement de transition issus des rangs de la
rébellion n’ont pas siégé depuis des mois, restant cantonnés dans leur fief
de Bouaké.
M. Mbeki a également demandé que les lois contestées, notamment le code de
la nationalité, soient revues pour être conformes à l’accord de
Linas-Marcoussis (Essone) de janvier 2003, et soient à nouveau adoptées
avant la fin avril. La composition de la commission électorale et de la cour
constitutionnelle, contestée, devrait être également revue. Pour assurer que
les élections présidentielles et les législatives qui suivront soient
"libres et transparentes", le médiateur va demander le soutien des Nations
unies. L’ONU pourrait nommer un "haut délégué aux élections" chargé de
superviser les scrutins. L’opposition avait proposé que tout le processus
électoral soit confié à l’ONU .
Les rebelles ainsi que l’opposition avaient aussi demandé la "libération des
médias d’Etat". Les réformes entreprises dans ce sens par le président
Gbagbo ont été jugées non conformes aux accords de paix et le ministre de la
communication, le chef de la rébellion Guillaume Soro, devra préparer un
nouveau projet de loi.
Enfin, le premier ministre de transition, Seydou Diarra, devrait bénéficier
d’une plus grande délégation de pouvoir de la part du président Gbagbo.
Le président Mbeki a élaboré ce texte avec les cinq leaders réunis à huis
clos. Pendant trois jours ils ont été tenus au plus grand secret. A aucun
moment leurs collaborateurs n’ont pu avoir accès à la salle des
négociations. Le médiateur a visiblement cherché à éviter la surenchère.
M. Mbeki a volontairement éludé la question de la modification de l’article
35, point focal de la crise, en confiant à l’ONU et à l’UA le soin d’en
révéler plus tard les détails. Il semble cependant acquis que l’option du
référendum ait été abandonnée. Pour sortir des arguties juridiques qui
bloquaient le processus, le chef de l’Etat sud-africain a opté pour une
solution politique. Celle-ci reste toutefois dépendante de la bonne foi des
signataires. Le médiateur fait le pari risqué que les engagements pris en
secret à Pretoria seront respectés malgré les pressions qui ne devraient pas
manquer de la part des jusqu’au-boutistes des deux camps.
Fabienne Pompey
D’un coup d’Etat à la guerre civile
Décembre 1999 : Henri Konan Bédié, président de la Côte d’Ivoire, est
destitué par le général Robert Gueï au terme d’une mutinerie. 22 octobre
2000 : Laurent Ggagbo, leader de l’opposition socialiste, remporte
l’élection présidentielle. Le général Gueï, qui se prétend aussi vainqueur,
est renversé lors de manifestations sanglantes. L’inéligibilité de l’ancien
premier ministre Alassane Ouattara pour cause de "nationalité douteuse" est
au coeur de la crise. 19 septembre 2002 : un coup d’Etat manqué contre le
président Gbagbo donne lieu à des règlements de comptes mortels. Coupé en
deux, le pays bascule dans la guerre civile. 24 janvier 2003 : les partis
politiques et les rebelles signent un accord de paix à Linas-Marcoussis
(Essonne). Les "patriotes" du président Gbagbo dénoncent un "coup d’Etat
constitutionnel" imposé par la France. 6 novembre 2004 : neuf soldats
français et un visiteur américain trouvent la mort, bombardés par des avions
de l’armée ivoirienne. La riposte française provoque de violentes
manifestations des partisans du président Gbagbo, qui s’en prennent aux
expatriés. 8 000 personnes quittent le pays.
Article paru dans l’édition du 07.04.05