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Sida : les défis de Vienne

La 18e Conférence internationale sur le sida s’ouvre dimanche en Autriche. Selon les experts, la pandémie peut être enrayée.


Libération - 17/07/2010 - Par Éric Favereau

Les Conférences internationales sur le sida  , qui ont lieu tous les deux ans, se ressemblent par leur gigantisme (plus de 20 000 participants). En même temps, elles sont uniques, jalonnant l’histoire de cette épidémie qui a tué déjà plus de 25 millions de personnes dans le monde. Celle qui s’ouvre à Vienne en Autriche, dimanche soir, est incertaine. De quel côté va pencher le balancier ?

Vienne ou l’histoire au tournant. Quatre défis pour tenter d’inverser la tendance de « la plus grande catastrophe sanitaire de l’humanité », selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ).

L’épidémie chez les drogués en Europe de l’Est

« C’est une situation catastrophique, lâche Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida  . Rien qu’en Europe orientale, on dénombre 1,5 million de personnes séropositives. Et le nombre de nouvelles infections a augmenté de plus des deux tiers depuis 2001. En tout, plus de 57% des nouvelles infections en Europe orientale sont dues à la drogue. »

C’est une épidémie gravissime qui se développe et s’amplifie dans cette partie du monde, sous le regard indiffèrent des autorités. L’Asie orientale et l’Europe de l’Est, sont les seuls endroits au monde où l’épidémie progresse. « En réponse ? On dépense un cent par jour et par personne infectée. Si on prend la Russie (lire page 4), il y a 1,8 million de personnes qui s’injectent de la drogue, 37% d’entre elles sont séropositives. Et il n’y a que quatre seringues par personne et par an », comptabilise l’Onusida  .

« Aujourd’hui, la politique sanitaire de ces pays est absurde. C’est l’emprisonnement comme seule réponse. Cela ne sert à rien. Il n’y a toujours pas le moindre programme d’échange de seringues, ni de produits de substitution », ajoute un haut responsable de l’OMS  , qui note, à l’inverse, que la Chine a changé radicalement de politique, en deux ans. Et a ainsi multiplié par 1 000 le nombre de centres pour toxicomanes. « C’est donc possible », insiste-t-il.

Ce n’est donc pas un hasard si les responsables de la Conférence ont lancé leur « déclaration de Vienne » sur ce thème : « Nous voulons faire la promotion d’une approche scientifique de la politique sur la drogue, qui commence par reconnaître que l’addiction n’est pas un crime mais une maladie », écrivent ainsi les plus grands experts, dont la Prix Nobel française Françoise Barré-Sinoussi.

La protection des jeunes

Pourtant, le bilan global épidémique est plutôt positif. « On est sur un plateau, précise Michel Sidibé. Mais un plateau qui reste élevé. Tout l’enjeu se situe chez les jeunes. Il y a 1,2 milliard de jeunes entre 11 et 20 ans. Si on rate l’opportunité de faire de l’éducation sexuelle, ce sera catastrophique. »

La bonne nouvelle est que l’épidémie de sida   a nettement reculé chez les jeunes de 15 à 24 ans, et cela dans près de la moitié des 25 pays les plus sérieusement touchés au monde, particulièrement en Afrique subsaharienne, d’après le dernier rapport de l’Onusida  . Cette réduction de la prévalence du VIH   coïncide avec un changement de comportement sexuel. Avec une entrée plus tardive dans la vie sexuelle, mais aussi une réduction du nombre des partenaires sexuels et par une « utilisation accrue » du préservatif chez les 15-24 ans ».

Le financement mondial

17 milliards de dollars, telle est la somme demandée par le Fonds mondial de lutte contre le sida   pour les trois années à venir. « Je suis très inquiet », nous a dit, à la vieille de la Conférence de Vienne, le professeur Michel Kazatchkine, directeur du Fonds. Depuis sa création en 2002, celui-ci a dépensé plus de 10 milliards de dollars, s’engageant ferment sur 19,2 milliards. Cela a permis à 2,8 millions de personnes de bénéficier de traitement antirétroviral, à 5 millions d’orphelins de recevoir une prise en charge médicale, à 1 million de femmes de disposer d’un traitement préventif dans le cadre de la transmission mère-enfant. Jamais la communauté internationale ne s’était engagée aussi massivement sur une question sanitaire.

Mais voilà, ce financement doit non seulement se maintenir, mais surtout se pérenniser. Or la crise est venue fragiliser tous les engagements des Etats. De partout, s’allument des signes inquiétants. L’Espagne vient de diminuer ses promesses de versement, l’Italie n’a pas versé ses subventions ni en 2009 ni en 2010. La France ? « Je ne sais pas si elle augmentera sa contribution, qui reste la plus importante d’Europe », note Kazatchkine. Récemment, le Fonds s’est tourné vers les riches pays arabes, notamment du Golfe. Pas de réponse. La Chine ? Elle hésite entre le statut de pays receveur de fonds et de pays donateur. « La bonne nouvelle vient des Etats-Unis, où le Congrès s’est engagé sur une somme 1,125 milliard pour 2011, soit au-delà de ses engagements. Et le Royaume-Uni a affirmé qu’il maintiendrait son budget développement. »

« 2010 est une année critique, poursuit le directeur du Fonds. Nous sommes pourtant les seuls à nous rapprocher des objectifs du millénaire en termes d’accès aux soins universels. » La communauté internationale s’arrêtera-t-elle à mi-chemin ?

Le prix des médicaments

Pour la première fois, des listes d’attente apparaissent, dans les pays du Sud.« Des ruptures de stocks de médicaments ont déjà été constatées et risquent de devenir de plus en plus fréquentes si des fonds ne sont pas rapidement débloqués,détaille Médecins sans frontières. Au Malawi, au Zimbabwe, en République démocratique du Congo, au Kenya et en Ouganda, les autorités et d’autres organisations nous ont récemment demandé de suppléer à leur manque de médicaments et de fournir des stocks en urgence. »

De fait, si en quelques années, plus de 5 millions de personnes dans les pays du Sud ont pu être mises sous traitement, ce succès a reposé, en grande partie, sur une baisse drastique des prix. Aujourd’hui, le paysage thérapeutique a changé. « Nous sommes à un moment charnière, analyse le professeur Benjamin Coriat, économiste. Depuis 2005, les fameux accords Adpics entrent en pleine application. La brevetabilité des molécules s’impose au Sud, donc chez tous les grands génériqueurs. Les nouvelles molécules anti-VIH  , plus simples et moins toxiques, ne peuvent plus être génériquées. » Et il ajoute : « L’année dernière, pour la première fois, nous avons assisté à un renchérissement du prix de la tritherapie de base. »

Que faire pour casser l’emballement à la hausse des trithérapies ? Le directeur de l’Onusida   : « Il faut être réaliste. Quand il y a 33 millions de personnes infectées, que 25 millions devront être traitées toute leur vie, vous avez l’obligation de penser le médicament comme un bien public. Il faut trouver une nouvelle formule pour démocratiser l’accès aux traitements. Car je ne vois aucune solidarité qui puisse résister sur une période de cinquante ans. »


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 18 juillet 2010

 

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