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Lever les obstacles à l’accès universel aux traitements


Dakar, 14 novembre 2008 (PLUSNEWS) - L’objectif d’accès universel aux traitements du sida   peut être atteint, à condition de s’attaquer très vite à ce qui le freine, entre autres le durcissement des brevets sur les antirétroviraux (ARV  ) récents qui compromet les efforts financiers considérables consentis ces dernières années, estiment des experts en économie de la santé.

« La période [actuelle] semble marquée par une contradiction assez forte », a noté Benjamin Coriat, président de l’action coordonnée de l’Agence nationale (française) de recherche sur le sida   (ANRS) en recherches socio-économiques sur la santé et l’accès aux soins dans les pays du Sud.

D’un côté, la mise en place de politiques nationales et internationales de grande ampleur et une « mobilisation spectaculaire » des financements internationaux au cours des dernières années, qui a permis de mettre trois millions de personnes sous ARV   dans les pays à revenus faible et intermédiaire, un résultat « dont on ne pouvait pas rêver il y a quelques années », a dit M. Coriat.

De l’autre, depuis 2005, une « redéfinition des règles de la propriété intellectuelle » sur les médicaments, telles que contenues dans un accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, ou TRIPS, en anglais), qui est « à l’origine de difficultés sérieuses » pour l’expansion des programmes de traitements dans ces mêmes pays et compromet leur avenir, selon cet économiste.

2005 a marqué la fin de la période de transition accordée aux pays en développement pour se conformer à ces accords, signés en 1994 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Depuis janvier 2006, tout médicament innovant se voit obligatoirement attribuer un brevet pour une période minimum de 20 ans, qui interdit, à de rares exceptions près, la production locale, l’exportation et l’importation de formules génériques de ces produits.

Certains ARV   de première ligne, mais surtout plus de 90 pour cent des ARV   de deuxième ligne, sont concernés par ce « resserrement des conditions de propriété intellectuelle », a noté M. Coriat.

La conséquence est inévitablement une forte augmentation du prix de ces ARV  , prix qui jusque là avaient pu être réduits grâce à la concurrence des génériques et au lancement d’initiatives comme AAI (Accelerating access initiative, plus connue sous le nom de ’ACCESS’), un accord signé en 2000 entre des organisations internationales et des laboratoires pharmaceutiques qui a permis de fournir aux pays en développement des médicaments brevetés à des coûts négociés.

Ces conditions favorables, à la fois grâce à ACCESS et à la flexibilité autorisée par l’OMC, dont ont profité des pays comme l’Inde, la Thaïlande et le Brésil pour fabriquer des génériques, ont permis l’expansion des programmes de traitements.

Mais « tout cela est en train de s’arrêter, puisque la flexibilité [des ADPIC] n’est plus autorisée, sauf circonstances exceptionnelles et avec des conditions très restrictives », a noté M. Coriat, qualifiant la situation « d’extrêmement préoccupante ».

Besoins accrus en nouveaux médicaments

Avec l’ancienneté et le succès des programmes de traitement ARV  , le nombre de patients séropositifs à passer progressivement sous traitement de deuxième, voire troisième intention, va augmenter dans les années à venir.

Au bout de quelques années de thérapie, un patient sous ARV   répond généralement de moins en moins bien à son traitement et développe des résistances qui l’oblige à avoir recours à des médicaments plus récents : selon les estimations, environ 10 pour cent d’une cohorte de patients sous traitement antirétroviral de première ligne passent chaque année en deuxième ligne, a rappelé M. Coriat.

Au Brésil, par exemple, a noté Mariangela Simao, directrice du Programme national brésilien de lutte contre le sida  , lors de la XVII Conférence internationale sur le sida   en août à Mexico, 30 pour cent des patients sont déjà sous traitement de deuxième ligne, et 3 000 autres en troisième ligne : quatre ARV   de deuxième ligne, sur les 17 ARV   fournis par le programme, représentent à eux seuls près de 60 pour cent du budget médicament du programme.

Etant donné le « spectaculaire » écart de prix entre les nouveaux traitements et les plus anciens, « les sommes pourtant considérables [investies dans la lutte] vont donc rapidement apparaître comme largement insuffisantes, avec d’un côté l’impression que la communauté internationale fournit de gros efforts, et de l’autre beaucoup d’efficacité perdue », s’est inquiété M. Coriat.

La différence de prix entre des ARV   de première et de deuxième intention est énorme, a-t-il rappelé : dans les pays à revenu faible, les anciens ARV   de première ligne sont disponibles à moins de 100 dollars par an, contre environ 1 300 dollars pour les moins chers en deuxième ligne recommandés par l’OMS  .

« Les dépenses liées [au] changement de traitement [ARV  ] augmenteront dans le contexte actuel de 250 pour cent d’ici 2010, et ce, uniquement pour maintenir les programmes d’accès actuels », a noté l’ANRS dans un document.

Proposer des solutions

Face à cette menace, des pistes de solutions existent pourtant, a estimé M. Coriat, les qualifiant cependant de « hautement politiques ».

L’outil des ’licences obligatoires’, une souplesse contenue dans les ADPIC et qui permet à un pays de fabriquer des médicaments protégés par des brevets en cas ’d’urgence sanitaire nationale’, est un dispositif « très utile », selon lui, dans la mesure où il force les compagnies pharmaceutiques à faire des offres de baisse de prix si elles veulent éviter cette situation : l’Inde, la Thaïlande et le Brésil ont utilisé cette flexibilité.

Cependant, la licence obligatoire est « un processus très complexe » possible sur un « nombre de molécules très restreint », qui apparaît en outre comme « un coup de force », et qui est donc « soumis à de fortes pressions », politiques et commerciales, a noté M. Coriat.

Pourtant, il s’agit d’un dispositif tout à fait légal. Il faudrait donc « repenser » son utilisation, par exemple en dressant une liste de produits essentiels pour lesquels des pays pourraient prévoir d’utiliser la licence obligatoire de manière « automatique et anticipée », a-t-il suggéré.

Les ADPIC prévoient en outre que des tiers -ONG, experts ou autres- peuvent contester la validité d’un brevet s’ils remettent en cause la « nouveauté » du produit concerné : la procédure a été utilisée par l’Inde, la Thaïlande et le Brésil dans le cas du Ténofovir, lorsque l’administration américaine a accordé un brevet à la nouvelle formule de ce médicament.

Cette action a « fait bondir les détenteurs du brevet » mais n’a pas été vaine, puisque l’administration américaine a revu sa position : un cas « intéressant », a estimé M. Coriat, car « le sud a fait revenir le nord sur sa décision », ce qui permet de « rouvrir des portes que l’on croyait fermées ».

Une autre piste de solution, complémentaire de la précédente, consisterait à également repenser l’initiative ACCESS pour les ARV   de 2ème génération, un programme qui a pour avantage de tirer les prix vers le bas et de rendre à la fois la disponibilité des produits et leur prix « prévisibles ».

D’autres initiatives permettant de faire baisser les prix peuvent être développées, comme celle reprise par UNITAID   -un mécanisme d’achat de médicaments essentiels grâce notamment à des taxes sur les billets d’avion- d’établir des « communautés de brevets » (’patent pool’), dans lesquels les laboratoires pharmaceutiques mettraient leurs brevets en commun, permettant à des producteurs de disposer -en payant des royalties- des différentes molécules nécessaires à la fabrication de médicaments. Ce système aurait de multiples avantages, selon les organisations qui le soutiennent, comme Médecins sans frontières, notamment de faciliter les transactions et de réduire les coûts.

Dans tous les cas, des solutions doivent être trouvées rapidement si les pays du Sud veulent pouvoir atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement, qui dans le cas du VIH  /SIDA   prévoient l’accès universel à la prévention et au traitement du sida   en 2010 et l’inversion de l’épidémie en 2015.

Mme Simao, du programme national brésilien, s’est voulue optimiste sur le soutien que les pays du sud peuvent obtenir, pour y parvenir : pour la première fois en mai dernier, a-t-elle dit, l’Organisation mondiale de la santé s’est dite prête à aider les pays qui le souhaitent à utiliser les souplesses prévues par la législation internationale. Signe, selon elle, que « l’accès à la santé et aux soins du sida   est reconnu comme étant beaucoup plus qu’une question de confort ou de défi commercial ».


Publié sur OSI Bouaké le samedi 15 novembre 2008

 

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