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Prévention du sida : tout ne passe pas par la capote



Libération - 26 novembre 2014 - Tribune de Gabriel Girard [1] [2]

Pour beaucoup d’acteurs de la santé publique, la fin de l’année 2014 restera associée à un tournant majeur dans le domaine de la prévention du VIH   - sida  . Alors que la journée mondiale de lutte contre le sida   a lieu le 1er décembre, on se souviendra à coup sûr de cette fin de l’année comme du moment où s’est stabilisé le consensus autour d’une idée simple : avoir des relations sexuelles sans préservatif n’équivaut pas nécessairement à prendre un risque pour le VIH  . Nos manières de penser la prévention s’en trouvent bouleversées.

Ainsi, le concept de « traitement comme prévention » s’impose. Face au sida  , les antirétroviraux ont fait la preuve de leur efficacité depuis 1996. Restait à prouver leur intérêt pour la prévention, et c’est chose faite. D’abord, parce qu’il est maintenant avéré que, pour une personne séropositive, un traitement anti-VIH   bien suivi rend le danger de transmission négligeable. Ensuite, et c’est la principale nouveauté : la prise d’un antirétroviral par des séronégatifs ayant des pratiques sexuelles sans préservatif réduit très fortement le risque d’acquérir le VIH  . Ce traitement préventif, connu sous le nom de « prophylaxie pré-exposition » (Prep  ) était encore à l’étude en Europe et au Canada. Mais ces dernières semaines, les deux essais menés chez des gays ont été arrêtés, la stratégie évaluée ayant montré une très forte efficacité. Les essais anglais (Proud) et franco-canadiens (Ipergay) vont à présent offrir le traitement à tous leurs participants. A terme, on peut espérer que les autorités de santé autorisent et promeuvent ce nouvel outil de prévention, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis depuis l’été 2012.

Ces nouvelles avancées médicales dans le champ de la prévention du VIH   viennent également mettre un terme à près de quinze ans de débats au sein du milieu associatif français. Depuis le début des années 2000, le bareback (« monter à cru », donc baiser sans capote) a fait couler beaucoup d’encre. A travers ce terme, certains gays revendiquent leur choix de ne pas utiliser de préservatif, en dépit des dangers. Le phénomène, bien que minoritaire, a été à la source de violentes controverses dans le monde de la lutte contre le sida  . En France, la confrontation s’était faite caricaturale, opposant sans nuance des partisans du « tout capote » à ceux d’une approche de « réduction des risques » complémentaire au préservatif. Cette ligne de fracture historique a vécu. Nul ne conteste le rôle central du préservatif dans la prévention. Mais la palette des outils de prévention est plus étendue que jamais : capotes, traitements, dépistages et pratiques à moindre risque. Les recherches scientifiques ont établi que la combinaison de ces techniques permet de réduire radicalement le risque du VIH  . Même si le risque zéro n’existe pas, on peut raisonnablement envisager d’en finir un jour avec l’épidémie, selon l’OMS  . Ce constat pourrait être le point de départ pour de nouveaux débats. Car la prévention contre le sida   fait face à trois défis de taille.

Le premier est idéologique. La diversification des outils de prévention s’accompagne en effet souvent d’un habillage néolibéral qui pose le libre choix comme un principe. Si l’intention est a priori louable - laisser les individus choisir leur option de prévention -, les effets en sont discutables. Car ce libre choix tend à faire peser la responsabilité du risque sur les individus, et en particulier sur les séropositifs. Dans de nombreux pays du monde, cette grille de lecture a ouvert la voie à la criminalisation de la transmission. L’individualisation de la responsabilité élude les conditions du choix, niant ainsi les dimensions relationnelles de la sexualité et les rapports de pouvoir qui les structurent. Avec la « médicalisation » de la prévention, le fait de ne pas dévoiler son statut sérologique ou de ne pas suivre son traitement pourrait devenir les nouveaux vecteurs de l’attribution de la faute. Avec les conséquences que l’on imagine en terme de contrôle social et de punition.

Le second défi est culturel. Les nouvelles options de la gestion du risque impliquent un dialogue sociétal serein autour de la sexualité. Or, force est de constater que la prévention du sida   est un révélateur du non-dit dans ce domaine. Même au sein des communautés homosexuelles, le sexe sans préservatif reste une pratique honteuse ou une transgression sulfureuse. Historiquement, toute une économie du plaisir et du désir s’est construite avec - et parfois contre - le préservatif. Le concept de traitement comme prévention impose de redéfinir les frontières de la confiance entre partenaires sexuels. Cet aggiornamento est indispensable pour éviter que la conscience du risque VIH   ne soit obscurcie par la culpabilité et le déni.

Le dernier défi est politique. Le VIH   reste un révélateur puissant des inégalités sociales. Selon l’Onusida  , l’épidémie frappe de manière disproportionnée des populations déjà marginalisées et/ou opprimées : les trans, les gays, les travailleuses du sexe, les prisonniers, les migrants et les usagers de drogue. Plus que jamais, la lutte contre le sida   se doit de conjuguer la défense des droits humains et le combat pour la justice sociale. Avec la crise économique globale, les efforts financiers ont marqué le pas, compromettant l’accès aux traitements pour des millions de personnes dans les pays du Sud. Au Nord, les réformes néolibérales des systèmes de santé fragilisent petit à petit l’accès aux soins et à la prévention des populations les plus précaires. Dans ce contexte, l’accessibilité des différents outils de prévention du VIH   s’affirme comme un enjeu incontournable pour les années à venir. Si 2014 reste à marquer d’une pierre blanche, l’écart apparaît vertigineux entre les promesses offertes par les avancées scientifiques et les obstacles idéologiques, culturels et politiques à leur mise en œuvre effective. Dans le même temps, les nouvelles infections continuent d’augmenter dans les communautés gaies. Une situation qui souligne l’impérieuse nécessité de nouvelles stratégies d’empowerment pour la lutte contre le VIH  .


[1] Sociologue, postdoctorant rattaché à l’Institut de recherche en santé publique de l’université de Montréal et au Collège d’études mondiales (Paris)

[2] Gabriel Girard est membre du comité scientifique de l’essai Ipergay, il s’exprime ici à titre personnel.


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 7 décembre 2014

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