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Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial contre le sida : « Nous manquons de ressources »



Par Eric favereau, Le Cap (Afrique du sud), envoyé spécial

Le professeur Michel Kazatchkine est le directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme depuis 2007. Cette structure unique de financement est devenue, en quelques années, le premier bailleur de fonds au monde sur les questions de santé. Le Fonds a ainsi engagé plus de 15 milliards de dollars (environ 10,5 milliards d’euros) dans la lutte contre le sida  .. Michel Kazatchkine se dit aujourd’hui « inquiet », voire « angoissé », par la remise en cause des engagements des pays développés qui, lors du dernier G8 en Italie, n’ont pas dit un mot sur le sida  .

Le financement de la lutte contre le sida   est-il menacé ?

Oui. Nous avons été très déçus par le déroulement du dernier G8. Alors que cette rencontre se passait en Italie - où avait été lancé le Fonds mondial, lors du G8 de Gênes il y a quelques années - là, ce fut le silence absolu. Pas un mot sur le sida  , ni sur la tuberculose, ni, en général, sur les questions sanitaires. Bien sûr, il y a les initiatives sur la faim dans le monde ou sur l’environnement qui sont essentielles, mais nous n’allons pas entrer en compétition avec d’autres causes. Ce fut un G8 plat, et inquiétant.

Ne craignez-vous pas aussi une focalisation à la rentrée sur la pandémie de grippe A, avec un risque de basculement des financements ?

Si la pandémie de grippe explose à l’automne - ce qui serait une catastrophe - que risque-t-on de voir ? Que lorsque les pays développés le veulent, ils peuvent dégager aussitôt des milliards d’euros ou de dollars. Des sommes considérables seront sûrement trouvées pour enrayer cette épidémie au Nord. Mais pour le Sud ? J’ajoute que lorsque l’on parle de milliards de dollars, cela peut paraître important. Mais c’est ridicule par rapport aux sommes qui ont été englouties dans le monde de la finance. C’est une goutte d’eau par rapport au trou provoqué par la crise. Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce monde : on trouve de l’argent quand on le veut, mais on fait la fine bouche pour sauver des millions de vies de personnes malades.

Où en est-on, précisément, au Fonds mondial ?

Nous nous retrouvons dans une situation de tension extrême. Tous les programmes que nous avons lancés sont financés pour 2009. Mais il va nous manquer trois milliards de dollars pour 2010, pour simplement couvrir les engagements. Je passe mon temps à aller de capitale en capitale, à rencontrer des chefs d’Etat. Et partout, on me répète que les engagements pris seront bien tenus, mais rien sur les nouveaux programmes. C’est l’interrogation majeure. Ils ne s’engagent pas à faire plus.

Comment allez-vous y faire face ?

En 2009, on devrait y arriver par des règles d’assouplissement de notre trésorerie. Mais c’est la suite qui est lourde d’inquiétudes. En 2010, nous tiendrons notre prochaine conférence de reconstitution de nos fonds, laquelle a lieu tous les trois ans. Nous manquons de ressources pour répondre aux objectifs que nous nous sommes fixés. Et nous manquons de ressources par rapport aux demandes des pays. Quand nous parlons de demandes, ce ne sont pas des demandes en l’air, cela correspond à des programmes précis, chiffrés, médicalisés et évalués.

Que risque-t-il alors de se passer ?

Le moment est charnière. Alors que nous avons lancé une dynamique, alors que nous avons commencé à réduire le fossé Nord-Sud - aujourd’hui nous finançons plus de 2,1 millions de traitements antisida dans le monde -, tout l’édifice est fragilisé. Il est à craindre que le fossé Nord-Sud ne s’élargisse de nouveau. Un exemple : je viens de visiter un hôpital dans la banlieue du Cap. Il a 240 lits. Il est censé couvrir une population de plus d’un million d’habitants ; plus de 16 000 patients sous traitements antisida y sont suivis. Mais cet hôpital est en pénurie. Le personnel est sans cesse en train de s’adapter aux restrictions. Dans d’autres régions, il n’y a plus d’argent pour inclure de nouveaux patients. Or ici, en Afrique du Sud, après des années d’errance, l’accès aux traitements a enfin décollé : plus de 700 000 personnes sont traitées. C’est le plus gros programme au monde. Et tout cela est menacé. Nous avons simplement besoin que les pays riches tiennent leurs engagements et qu’ils respectent ce qu’ils avaient dit, c’est-à-dire faire en sorte que 0,56 % de leur PIB soit dévolu à l’aide au développement. Avec une simple hausse de 0,01 %, ce sont des milliers de vies sauvées.

La France reste-elle en pointe ?

Elle continue d’être le deuxième financeur du Fonds et le premier en Europe. Mais la France est un pays à la traîne, même si Carla Bruni-Sarkozy est devenue ambassadrice du Fonds mondial contre le sida  .

Avez-vous pu rencontrer Nicolas Sarkozy, comme vous le souhaitiez ?

En tête à tête, toujours pas.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 22 juillet 2009

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