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Les victimes du Novotel d’Abidjan sont mortes pour l’information



A vous quatre qui nous avez sauvé la vie au Novotel d’Abidjan

Libération - 09/06/2011 - Par un collectif de journalistes [1]

Dans le cours de l’actualité que nous couvrons, nous les reporters, correspondants et envoyés spéciaux, il y a des moments rares, où le temps s’arrête, où l’infini renouvellement des drames et des tragédies qui font le quotidien de nos « sujets » marque une pause. L’annonce de la mort de Stéphane Frantz di Rippel, ce jeudi 2 juin, est de ceux-là. Son assassinat perpétré par un commando issu de la garde républicaine de Laurent Gbagbo, un sort sans doute partagé par Yves Lambelin et ses deux collaborateurs béninois et malaisien, Chelliah Pandian et Raoul Adeossi, nous a tous bouleversés.

Par sa position centrale, au cœur d’Abidjan, par l’habitude que certains d’entre nous avaient déjà d’y descendre, par le fait aussi qu’en situation de guerre les points de chute ne sont pas si nombreux et que les journalistes ont tendance à se regrouper pour mieux évaluer les risques et partager l’information, l’hôtel Novotel du Plateau s’est transformé en quelques jours, début avril, en QG de la presse internationale, de la presse française en particulier. Stéphane Frantz di Rippel en est le directeur depuis quelques mois. Il n’a pas demandé à gérer cette situation. Son professionnalisme lui commande d’improviser au mieux. Une cinquantaine de clients parmi lesquels une majorité de journalistes, mais aussi quelques ressortissants étrangers sont répartis sur les neuf étages que compte l’établissement. Le Français Yves Lambelin, patron du premier groupe agroalimentaire ivoirien, Sifca, y a trouvé refuge un peu en catastrophe au moment où la métropole ivoirienne, sous l’effet de l’offensive des combattants pro-Ouattara, plonge dans le chaos.

Très vite, il apparaît que cette bulle rassurante qu’aurait pu être le Novotel n’en est pas une. Les forces loyales au président déchu contrôlent le Plateau, le quartier des affaires, et celui du palais présidentiel. Les tireurs embusqués et les miliciens pro-Gbagbo font peser une menace constante sur les civils terrés dans les immeubles alentours. Les « patriotes » défilent chaque jour devant l’hôtel allant parfois jusqu’à en secouer les grilles. Le risque est assumé par les reporters de guerre. Il ne peut l’être par les employés de l’hôtel, de plus en plus inquiets pour leur sécurité, ni par les réfugiés qui réclament depuis plusieurs jours leur évacuation par la force Licorne vers le camp militaire français de Port-Bouët. L’enquête judiciaire en cours menée à la fois par les autorités françaises et ivoiriennes déterminera, espérons-le, les raisons de l’opération meurtrière qui a visé le Novotel d’Abidjan. Mais il n’est pas impossible que la volonté de mener un raid punitif contre le lieu de rassemblement d’une presse considérée comme hostile au pouvoir sortant en ait été l’une des causes.

Que cherchait le commando de tueurs ce 4 avril en début d’après-midi ? Des « Blancs », des journalistes ? Une monnaie d’échange ? Les victimes expiatoires d’un régime agonisant ? Toujours est-il que lorsque ces hommes en armes atteignent le 7e étage où se trouve le bureau de Stéphane Frantz di Rippel, ce dernier a un réflexe qui va sauver des vies, les nôtres, et condamner la sienne. Il nie la présence de journaliste dans son hôtel, alors même qu’une quinzaine d’entre eux se trouve à l’étage supérieur. Sortis de la chambre voisine pour intervenir, Yves Lambelin, son adjoint Raoul Adeossi et Chelliah Pandian, responsable d’une filiale de Sifca, sont emmenés eux aussi manu militari. On craint qu’ils aient également été exécutés dans les heures qui ont suivi. Longtemps, nous avons espéré que les quatre disparus étaient détenus comme otages, que des traces de leur survie feraient surface, qu’une demande de rançon allait être transmise. Dans les premiers jours, nous avons même pensé qu’une certaine discrétion médiatique permettrait aux services français œuvrant dans le chaos d’Abidjan de négocier leur libération. Et la terrible confirmation de ce que l’on pressentait est arrivée. A ces hommes avec qui nous avons partagé quelques jours, quelques heures, nous voulons rendre hommage. Beaucoup d’entre nous en sont convaincus, leur sort aurait pu être le nôtre.

Merci à toi, Stéphane, pour ton courage, à vous M. Lambelin, ainsi qu’à Chelliah Pandian et Raoul Adeossi. Nous pensons très fort à vos familles, à vos proches. Nous ne vous oublierons jamais.


Les victimes du Novotel d’Abidjan sont mortes pour l’information

Rue89 Par Daniel Schneidermann | Fondateur d’@rrêt sur images | 09/06/2011 |

Tiens, une autre histoire d’hôtel du groupe Accor. Elle fera sans doute moins de bruit. Pour tout dire, elle n’en avait pas fait du tout, jusqu’à maintenant. Ce n’était qu’un entrefilet, dans l’actualité tourmentée. Le directeur du Novotel d’Abidjan a été enlevé, début avril, au plus fort des combats. On avait retrouvé son corps fin mai. Des hommes de Gbagbo étaient impliqués. On lisait ça machinalement dans les fils d’actualité, pris par tant d’autres urgences.

Au mauvais endroit, mauvais moment

Paru dans Libération du 9 juin, un très beau texte rend vie à Stéphane Frantz di Rippel, directeur de l’hôtel, ainsi qu’à trois clients du lieu qui se trouvaient là au mauvais moment : Yves Lambelin, Raoul Adeossi et Chelliah Pandian. Signé par une dizaine de reporters de guerre français présents à Abidjan début avril, ce texte raconte l’ambiance au Novotel, dans les derniers jours du régime de Gbagbo finissant. Il raconte les manifestations d’intimidation devant les grilles, jusqu’à ce jour fatal où un commando fait irruption à l’intérieur de l’hôtel.

« Que cherchait le commando de tueurs ce 4 avril en début d’après-midi ? Des Blancs, des journalistes ? Une monnaie d’échange ? Les victimes expiatoires d’un régime agonisant ?

Toujours est-il que lorsque ces hommes en armes atteignent le 7e étage où se trouve le bureau de Stéphane Frantz di Rippel, ce dernier a un réflexe qui va sauver des vies, les nôtres, et condamner la sienne. Il nie la présence de journaliste dans son hôtel, alors même qu’une quinzaine d’entre eux se trouve à l’étage supérieur. »

Un moment dans l’hystérie virtuelle

Stéphane Frantz di Rippel est emmené par le commando, ainsi que les trois clients qui se sont interposés. Le commando ne montera pas au huitième étage. Y serait-il monté sans l’interposition du directeur ? On ne le saura jamais. Le texte des reporters de guerre français est titré « A vous quatre qui nous avez sauvé la vie au Novotel d’Abidjan ». Ce n’est rien d’autre qu’une stèle de papier, une déclaration de gratitude.

Comme les rappels rituels de la détention de Ghesquière et Taponnier, il fait irruption dans l’hystérie virtuelle de l’information continue, et dans le tumulte de nos furieux débats. Il nous rappelle que là-bas, très loin, dans des trous noirs si proches du rond de lumière, il arrive encore, mais oui, qu’on meure pour l’information.


[1] Cyril Bensimon grand reporter RFI, Tanguy Berthemet grand reporter Figaro, Dominique Derda correspondant France 2, Omar Ouahmane grand reporter France Culture, Grégory Philipps grand reporter France Info, Bruno Poizeuil preneur de son-monteur TF1, Frédéric Ranc journaliste reporteur d’images France 2, Jean-Philippe Rémy journaliste au Monde, Michel Scott grand reporter TF1, Iker Zabala journaliste reporteur d’images TF1, Michaël Zumstein photographe agence Vu


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 12 juin 2011

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