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Gauche et droite unies pour freiner la justice internationale



Par David Servenay | Rue89 | 28/05/2010 | 16H50

Plusieurs verrous retardent l’adaptation du droit français à la Cour pénale internationale. La plupart des députés approuvent.

Dix ans après la création de la Cour pénale internationale (CPI  ), la France n’a toujours pas adapté son droit aux principes de la justice universelle. Autrement dit, la possibilité de juger quiconque est soupçonné de s’être rendu coupable d’un crime contre l’humanité, d’un crime de guerre ou de génocide.

A droite comme à gauche, les politiques refusent cette évolution. Un projet de loi est enfin débattu par le Parlement, mais il pose des conditions très restrictives à l’application du principe de compétence universelle.

La définition du justiciable, premier verrou

Le projet de loi comporte au moins deux clauses d’exception. La première concerne le justiciable :

« Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s’est rendue coupable à l’étranger de l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale […]. »

Le « qui réside habituellement sur le territoire de la République » fait sourire, car en dehors de Jean-Bedel Bokassa ou de Jean-Claude Duvalier, on ne voit pas bien quel criminel de guerre irait choisir la gueule du loup pour lieu de « résidence habituelle ».

L’avocat Patrick Baudoin.L’avocat Patrick Baudoin, ancien président de la FIDH, juge cette condition indigne :

« Tous les verrous sont solides, mais le plus scandaleux est celui de la “ résidence habituelle ” qui élimine 95% des cas.

La plupart du temps, ces gens-là ne font que passer dans leurs ambassades ou les grands hôtels. »

Ecarter les victimes de la procédure

Trois autres obstacles ont été posés par le législateur :

1. L’impossibilité pour les victimes d’initier des poursuites, puisque seul le parquet aura ce droit. C’est le deuxième gros verrou. « Dans les faits, commente maître Baudouin, le parquet ne bouge que sous la menace d’une plainte avec constitution de partie civile. »

2. L’incrimination -crime de guerre, génocide ou crime contre l’humanité- doit aussi faire partie de l’arsenal juridique du pays où les faits ont été commis. En général, l’arsenal législatif des dictatures n’est pas très complet sur ce terrain-là…

3. La Cour pénale internationale doit expressément décliner sa compétence pour que la justice nationale intervienne. Ce qui peut poser problème pour des « seconds couteaux » dont se désintéresserait la CPI  .

En résumé, si un tel texte avait été en vigueur ces dernières années, aucun cas actuellement à l’instruction en France ne serait parvenu jusqu’à un juge. Patrick Baudoin :

« Il y a un blocage politique. La France est profondément réfractaire à l’idée d’introduire dans son droit interne le mécanisme de la compétence universelle.

Pourquoi ? Il y a la tradition du respect de la souveraineté nationale. Mais cela se double d’une volonté de protéger les militaires français en opérations extérieures.

Parmi les cas récents, on peut penser au Rwanda, à l’Afghanistan, à la Yougoslavie… Cela rejoint la position défendue par les Etats-Unis. »

Autre crainte des décideurs, la perspective de troubler des relations diplomatiques délicates :

« Les politiques redoutent de voir la compétence universelle nuire aux rapports de la France avec des pays étrangers.

Par exemple, la procédure actuellement instruite à Meaux qui vise des responsables du Congo-Brazzaville dans l’affaire des disparus du Beach. Depuis dix ans, le parquet a multiplié les obstacles pour enterrer cette affaire. »

Pas de différence droite/gauche sur le sujet

Lundi 31 mai s’ouvrira à Kampala (Ouganda), pour dix jours, la conférence internationale qui doit dresser un état des lieux de l’évolution de la CPI  .

D’ici là, le gouvernement souhaiterait faire adopter le projet de loi par l’Assemblée nationale. Histoire de dissiper cette fâcheuse impression que la « patrie des droits de l’homme » a juste dix ans de retard, comme le dénonce Amnesty International.

Ce « retard » s’explique sans doute par une forme d’unanimité de la classe politique française sur le sujet. Rares sont les élus qui osent se prononcer en faveur de la justice universelle. Patrick Baudouin :

« Le blocage est indépendant de la couleur politique. On pourrait espérer que la gauche soit plus favorable à la compétence universelle, mais ce n’est même pas le cas.

L’argument invoqué est : “ Si on introduit ce mécanisme, pourra-t-on encore avoir des sommets France-Afrique en France ? Accueillir des chefs d’Etat douteux ? ” C’est fallacieux, car la France n’est pas seule. D’autres pays européens ont des lois d’adaptation plus ouvertes. »

Une position politique qui amène parfois les autorités judiciaires à prendre partie pour… les bourreaux, contre les victimes. Le ministère public a fait appel de la condamnation d’un diplomate tunisien à huit ans de prison. L’appel aura lieu le 25 juin prochain devant la cour d’assises de Nancy.

Pendant que les députés débattent, l’actualité de la justice pénale internationale se poursuit. Ainsi, cette semaine, deux actualités se sont télescopées :

  • A Khartoum, au Soudan, Omar El-Béchir vient de prêter serment pour un nouveau mandat de cinq ans. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI  .

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Publié sur OSI Bouaké le mardi 1er juin 2010

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