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Ali Ziri sauvé de l’oubli ?



Anatole Istria, CQFD N°071 , octobre 2009.

Combien de temps faut-il pour que la mort d’un chibani lors d’un contrôle de police sorte de l’indifférence médiatique et judiciaire ? Ce n’est que quatre mois après les faits et le dos au mur que le parquet a daigné ordonner une enquête… le 9 juin dernier, à 20h30, Arezki Kerfali, 61 ans, au volant d’un véhicule, se fait banalement contrôler par une patrouille de police à Argenteuil. Son ami Ali Ziri, retraité algérien de 69 ans est assis sur le siège passager. Sortant du restaurant, ils ont un peu arrosé la perspective du mariage du fils d’Ali Ziri au bled. Deux jours plus tard, Arezki sort du commissariat complètement sonné avec de multiples ecchymoses dont témoignent des photos prises par ses proches. Ali Ziri, lui, gît sur un lit d’hôpital. Le coma a été constaté le 9 juin à 22h45 par un médecin urgentiste, la mort clinique enregistrée le 11 juin. Sa famille peut remarquer de nombreuses marques anormales sur le corps. L’enquête autodiligentée par le commissariat d’Argenteuil établit une mort due à une « hypertrophie cardiaque ». Le commissariat s’institue ainsi juge et partie au lieu de confier l’enquête à la police judiciaire de Versailles selon la marche à suivre. Le même refuse également d’enregistrer la plainte d’Arezki Kerfali « pour violences », alors que celui-ci veut témoigner de la façon dont l’interpellation a dégénéré. Il affirme qu’Ali Ziri et lui-même ont fait l’objet d’un « tabassage continu », mains liées dans le fourgon : « Les policiers nous ont battus et traités de sales bougnoules. » Diligemment, le parquet de Pontoise classe l’affaire sans suite : « La cause du décès est liée à des problèmes cardiaques ainsi qu’à l’absorption d’alcool. Il n’a pas été violenté par la police », déclare le procureur adjoint Bernard Farret à Politis (22 juin). Pas d’information judiciaire, pas d’enquête médicale. Fin juin, se constitue un collectif pour la Vérité et la justice pour Ali Ziri [1], qui engage en même temps un combat de longue haleine contre le mépris de l’administration et le silence des médias. Il réclame une nouvelle expertise sur les causes du décès. À la première conférence de presse, seul un journaliste d’un journal local a fait le déplacement. Le procureur refuse de reconsidérer l’affaire et s’en tient à la version policière. Le 18 août, les premiers résultats de la contre-autopsie sont accablants, ils stipulent la trace de 27 hématomes sur le corps d’Ali Ziri de 12 à 17 cm de diamètre. La contre-expertise du Dr Lacombe conclut à une mort par « anoxie », c’est-à-dire par étouffement consécutif au tabassage. Comment la première autopsie réalisée à l’hôpital de Garges a-t-elle pu donner des conclusions aussi lacunaires, voire aussi contradictoires ? L’affaire Ali Ziri a alors droit à un reportage au 19-20 de France 3, puis silence radio, l’énigme des vrais-faux disparus du Grand-Bornand accapare toute l’attention des JT. Il faut lire la presse algérienne pour s’informer des agissements des policiers d’Argenteuil !

Après un été particulièrement tendu, le collectif, composé d’une vingtaine d’associations et d’organisations s’indigne : « Jusqu’à quand l’impunité pour les auteurs de violences policières ? Comme l’affaire Ziad et Bouna à Clichy-sous-Bois, l’affaire Mouchine et Larami à Villiers-le- Bel, comme l’affaire Hakim Ajimi mort par l’utilisation de la clef d’étranglement, comme les affaires de tous ceux qui ont perdu un œil ou l’audition suite à des tirs de flash-balls : Dominique et Bruno à Villiers-le- bel, Joachim à Montreuil, Sékou aux Mureaux, Samir à Neuilly-sur- Marne… […] Toutes ces violences ne sont pas de simples bavures qui s’accumulent, elles sont le résultat de tout un système de répression, pensé et structuré, qui s’attaque aux plus pauvres quel que soit leur âge, et tout particulièrement lorsqu’ils sont arabes ou noirs. » Le 17 septembre, c’est au tour d’Areski Kerfali de comparaître au tribunal de Pontoise pour outrage envers les trois jeunes flics qui à aucun moment n’ont été suspendus de leur activité ! Ces policiers ont entre 21 et 28 ans ; par ailleurs, un des condés est connu pour collectionner les dossiers d’outrage. « Quelle culture peut accepter que des jeunes, en uniforme ou non,traitent des anciens ainsi ? », s’interroge M. Semache, un ami d’Ali Ziri. Les grands médias, Le Monde puis L’Express, commencent alors à se pencher sur cette mort douteuse et sur la personnalité attachante de « Tonton Ali », le vieux travailleur kabyle intègre, qui ne correspond vraiment pas au gibier à bavure classique.

Maître Sami Skander, l’avocat des proches, obtient du tribunal de réunir les deux affaires et le procès est renvoyé au 24 juin 2010 afin que les policiers puissent être enfin auditionnés. Le 5 octobre, le parquet, dos au mur face à une affaire qui pourrait scandaliser l’opinion, décide d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre des policiers. La plainte pour « homicide involontaire », déposée par le collectif constitué partie civile, a été requalifiée en plainte « pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Mais est-ce le défaut d’intention qui compte ?

[1] http://www.atmf.org/.


Publié sur OSI Bouaké le vendredi 23 octobre 2009

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